janvier 2023

Carnets | janvier 2023

l’histoire

L'histoire officielle, celle que l'on découvre dans les manuels scolaires et qu'on est bien obligé d'accepter puisque c'est pour l'essentiel une relation à l'autorité. Si on ne l'accepte pas c'est tant pis pour soi. Tant pis vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des nôtres. C'est à partir de ces tant pis que l'on finit par s'éloigner peu à peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l'eau d'une baignoire . Une baignoire remplie d'eau glacée dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de résister ainsi. Et de s'étonner que ce soit, après la douleur de l'imagination surtout, encaissée, la découverte d'une pratique vraiment roborative. C'est durant la guerre que les trois frères de ma mère et elle même durent s'éloigner de Paris. On les confia à des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l'histoire tu l'avais presque totalement oubliée tellement elle fut recouverte de rancœurs, d'amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue désormais et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir, qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux. Ses frères gardèrent les vaches, elle en plaisantait, alors qu'elle eut plus de chance, confiée à des agriculteurs plutôt riches, et qui possédaient des employés. Ce qui ne l'empêcha pas d'être conspuée par les gamins des écoles qu'elle fréquentait. Sale étrangère, le mot lui était resté. Et je ne comprenais pas cette méchanceté qu'elle me relatait parfois la gorge serrée. L'Estonie tu ignoras longtemps que ce pusse être même un pays, une terre. Et quand tu le découvres enfin à l'adolescence tu comprends encore moins la véhémence des gosses de jadis envers ta mère. Les estoniens ne sont ni noirs ni arabes ni portugais,, pas même italiens ils sont pour la plupart blancs comme tout à chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors... c'est étonnant. Et meme le peu de gamins croisés en chemin durant ton propre parcours scolaire, des roumains, des russes, des belges, des slovaques, tu ne te souviens pas qu'ils eurent à souffrir trop de l'invective ni des moqueries. Ensuite que tu apprennes en pension, en revoyant chaque année toujours le même film l'histoire du père Kolbe un catholique qui se sacrifie pour des juifs... tu feras peu à peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l'époque de l'occupation, ca te mettra comme on dit la puce à l'oreille. Le martyr des juifs te toucha jusqu'aux os. Le désespoir que tu en éprouvas alors et cette magistrale colère, restent étrangement toujours aussi vives. Pourquoi certaines choses semblent dévoiler des parties intimes de nous-mêmes alors que d'autres nous laissent de marbre, indifférent. Il faudra encore patienter longtemps, toute une vie pour que tous ces petits fragments s'agglutinent ensemble par nature, par catégorie, comme les déchets qui te fascinaient quand tu examinais ceux-ci , durant des heure, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. Pour que l'histoire s'avance comme tu as toujours eu l'intuition qu'elle devait avancer, par une suite d'eureka toujours plus douloureux les uns que les autres et non aux travers des gloires, des victoires dont on sature les manuels d'histoire.|couper{180}

l'histoire

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023-8

Comment ne pas comprendre Kafka ? Comment ne pas voir que tu es en train de réécrire à ton tour le Procès ? Et bien sûr que tu te places d'autorité dans le box des accusés. Tu ne cherches même pas à te faire aider d'un avocat. Au contraire, plus il y aura de charges, plus la partie civile se frottera les mains, plus tu seras enfin rassuré sur ton sort. Le mot 'édifié', tu le regardes passer mais tu ne le touches pas. Surtout pas. Après, trouver une Marthe Robert, une autre paire de manches, pas bien d'importance pour un manchot.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023-7

« Dure et molle » . Ce sont les deux mots qui te viennent quand tu repenses à la mère de ta mère, à ta mère, à toutes les femmes vers lesquelles ton désir t'aura poussé. Celles trop dures, tu les as laissées tomber ; celles trop molles, tu ne les as pas ratées. Il fallait toujours une proportion très précise de dureté et de mollesse pour que ton cœur s'entrouvre d'une façon que tu imaginais alors sincère, authentique, véritable. Ce rapport, équivalent à un nombre d'or personnel, t'aura servi à bâtir de jolis temples avant de les voir s'écrouler comme frappés par un destin souvent incompréhensible. Un destin abscons dans lequel tu n'as toujours eu que la sensation désagréable de n'être qu'une marionnette, un acteur. Mais cette recherche insensée du rapport exact entre dur et mou, rien que ça pourrait te servir de levier pour soulever une montagne, et voir soudain tous les insectes, les mille-pattes, les cloportes, s'en échapper, frappés d'ahurissement, causé par une lumière crue trop intense, trop forte." Le fait que tu répètes lcette qualité de clarté trois fois comme si tu cherchais à l'exorciser.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023-6

L'histoire officielle, celle que l'on découvre dans les manuels scolaires et qu'on est bien obligé d'accepter puisque c'est pour l'essentiel une relation à l'autorité. Si on ne l'accepte pas, c'est tant pis pour soi. « Tant pis », vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des nôtres. C'est à partir de ces « tant pis » que l'on finit par s'éloigner peu à peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l'eau d'une baignoire. Une baignoire remplie d'eau glacée dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de résister ainsi. Et de s'étonner que ce soit, après la douleur de l'imagination surtout, encaissée, la découverte d'une pratique vraiment roborative. C'est durant la guerre que les trois frères de ma mère et elle-même durent s'éloigner de Paris. On les confia à des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l'histoire, tu l'avais presque totalement oubliée tellement elle fut recouverte de rancœurs, d'amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue désormais, et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux. Ses frères gardèrent les vaches, elle en plaisantait, alors qu'elle eut plus de chance, confiée à des agriculteurs plutôt riches et qui possédaient des employés. Ce qui ne l'empêcha pas d'être conspuée par les gamins des écoles qu'elle fréquentait. « Sale étrangère », le mot lui était resté. Et je ne comprenais pas cette méchanceté qu'elle me relatait parfois, la gorge serrée. L'Estonie, tu ignoras longtemps que ce pût être même un pays, une terre. Et quand tu le découvres enfin à l'adolescence, tu comprends encore moins la véhémence des gosses de jadis envers ta mère. Les Estoniens ne sont ni noirs, ni arabes, ni portugais, pas même italiens ; ils sont pour la plupart blancs comme tout un chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors... c'est étonnant. Et même le peu de gamins croisés en chemin durant ton propre parcours scolaire - des Roumains, des Russes, des Belges, des Slovaques - tu ne te souviens pas qu'ils eurent à souffrir trop de l'invective ni des moqueries. Ensuite, que tu apprennes en pension, en revoyant chaque année toujours le même film, l'histoire du père Kolbe, un catholique qui se sacrifie pour des juifs... tu feras peu à peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l'époque de l'Occupation, ça te mettra comme on dit la puce à l'oreille. Le martyre des juifs te toucha jusqu'aux os. Le désespoir que tu en éprouvas alors et cette magistrale colère restent étrangement toujours aussi vifs. Pourquoi certaines choses semblent dévoiler des parties intimes de nous-mêmes alors que d'autres nous laissent de marbre, indifférents ? Il faudra encore patienter longtemps, toute une vie, pour que tous ces petits fragments s'agglutinent ensemble par nature, par catégorie, comme les déchets qui te fascinaient quand tu les examinais durant des heures, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. Pour que l'histoire s'avance comme tu as toujours eu l'intuition qu'elle devait avancer, par une suite d'eurêka toujours plus douloureux les uns que les autres et non à travers les gloires, les victoires dont on sature les manuels d'histoire.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023-5

Une ébauche d'un portrait de Kafka. Il est en train de déguster une pêche et un verre de lait dans un grand restaurant, et il prend son temps. Tout le monde le regarde faire. « Qu'ont-ils donc à me dévisager ainsi ? » se demande-t-il... D'après une vidéo short vue ce matin de l'ami François Bon. Et qui me turlupine encore.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023-3

Encore cette question : pourquoi les anges ont-ils besoin d'une échelle ? Et puis d'un seul coup, tu penses à un vieux transistor, le genre de ceux qui ont presque totalement disparu et où l'on devait manuellement tourner un bouton pour changer de station. L'aspect matériel de ce bouton sans lequel on resterait prisonnier, figé toujours sur une seule station. L'échelle s'approche peu à peu de ce bouton. C'est un clavier. Et les anges sont les sephiroth qui, en tant qu'énergies créatrices, ne peuvent rien sans la présence d'une matière, des « touches » et des lettres associées à celles-ci. Ensuite, que ces énergies aillent puiser dans une notion de bas et de haut, de lumière ou d'ombre, de joie ou de tristesse peut désorienter. De même que te désoriente le changement de fréquence, de sujet, de tous tes textes écrits dans l'urgence de ces nuits, ces petits matins. Cette urgence à passer d'un niveau à l'autre d'une échelle personnelle pour écrire, pour laisser libre cours à ces énergies qui, si tu ne le faisais pas, te détruiraient, t'anéantiraient probablement. Pourtant, tu es resté 17 ans sans écrire une seule ligne ; as-tu été anéanti pour autant ? Non, bien sûr. Tu as juste perdu la mémoire de tout ce que tu as pu faire durant ces années. Tu as juste vécu une vie de somnambule. Mais n'était-il pas voulu que tu t'absentes ainsi si longtemps ? Il fallait que tu abandonnes quelque chose, et quand tu y penses, c'est justement la prétention de n'avoir pas besoin de bouton, ni d'échelle, ni de clavier pour te manifester. Une prétention que tu auras confondue avec la modestie, la discrétion, le renoncement.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023-2

Aucun attrait pour la fête. L'expression tant entendue autrefois : « sale petit con, je vais te faire ta fête » explique peut-être cela. Dès que la fête se construit autour de moi, je suis happé par le vide, une tristesse. Je ne comprends pas l'engouement que les gens éprouvent à faire la fête. Si par hasard je tombe sur une fête, je détale et alors j'éprouve en même temps un immense soulagement et le même poids équivalent de regrets. C'est dans les fêtes que j'ai éprouvé le plus de honte, surtout au petit matin si ma mémoire est bonne, quand je découvrais un visage, un corps étrangers dans mon lit. Le souvenir atterrant de la fête au village, lorsque adolescent je les rejoignais sur ce vieux Solex. Parfois à plus de 20 km, à Meaulnes ou encore à Saint-Bonnet. Je n'y allais pas pour m'amuser mais pour aider à porter les lourdes plaques qui constituaient le parquet des autos tamponneuses, payé chichement par les forains. À la fin du boulot, j'observais le déroulement de la fête. Le bal, les filles assises tout autour de la piste, les garçons rougeauds et empêchés qui les invitaient à danser. Un refus menait directement au bistrot, et au blanc limé. Au bout de quelques verres, le courage semblait leur venir, ou la colère. Régulièrement, cela se terminait à coups de poing, les flics auraient pu chronométrer leur déplacement pour être là pile-poil juste avant que ça ne dégénère totalement. Et dans les yeux des filles, cette excitation sauvage que tout ce merdier produisait.|couper{180}

Théorie et critique littéraire

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023

Découverte de deux tomes de récits rendant hommage à Lovecraft : « Sur les traces de Lovecraft », anthologie 1 et 2, collection Fractales/Fantastique, dirigée par Christelle Camus, éditions Nestiveqnen, Aix-en-Provence, 2018. 18 auteurs proposent des récits dans l'esprit de l'auteur. Me suis fait happer par le tout premier hier soir, une autrice inconnue, Kéti Touche : cette histoire de photographe qui vient en résidence dans un obscur manoir (en Angleterre, en Écosse ?) tenu par une femme énigmatique, veuve d'un homme nommé Howard, explorateur de son état. Le récit se déploie dans une tempête, une côte sauvage, au bout d'une inquiétante falaise. On y découvre de vieux carnets évoquant des découvertes effroyables qui auront bien sûr eu raison de la santé mentale d'Howard. Donc bien sûr, de nombreux ingrédients que l'on retrouve chez Lovecraft. Lu une cinquantaine de pages puis j'ai bondi ensuite sur « Autoportrait » d'Édouard Levé. Une suite de phrases en apparence isolées les unes des autres. Amusant, tragique, burlesque. Intéressant quant à la forme. Pour le fond, je suis encore mi-figue mi-raisin. Et puis tout de suite après 20 pages, j'ai posé le livre, j'ai éteint la lumière et il semble que j'ai dormi d'un sommeil de plomb. Aucun cauchemar dont je puisse me souvenir ce matin. Ce qui me fait penser à ce que j'aimerais vraiment écrire. Tiraillé entre la forme et le fond encore une fois. Et là, je me souviens de ce que dit Garouste quand il se trouve confronté au fait que la peinture est morte après Duchamp, discours des Beaux-Arts de son époque. Faire le point sur ce que tu veux vraiment : être un écrivain contemporain ou raconter de bonnes histoires, voilà le nœud. Étonnant que je ne découvre ces livres sur Lovecraft qu'après avoir effectué l'ébauche de ce petit portrait le matin même.|couper{180}

Auteurs littéraires Lovecraft peintres

Carnets | janvier 2023

17 janvier 2023-5

À Knossos en Crète, des jeunes gens sautent par-dessus un immense taureau. Rien à voir avec la corrida actuelle. Même si tu es en mesure d'imaginer à toute fin, pour l'animal, un sort funeste identique. L'aspect joyeux de la mosaïque, cet instantané capturé par un artiste anonyme, évoque la vie, la joie, la danse, l'harmonie, et n'incite pas à penser la mort. Et si tu te souviens de ton étonnement quand tu comprends que la civilisation minoenne, à cette époque, avait déjà compris la nécessité d'expulser hors de son habitat ses miasmes, ses déchets grâce à un ingénieux système d'égouts qui sillonne toute la ville, ces deux éléments suffisent pour t'inventer une nostalgie, celle d'un temps où l'être humain était encore digne de ce nom. Toujours le fantasme d'un paradis perdu. Ce genre de pensée qui n'a pour fonction que celle de vouloir toujours t'aider à t'enfuir du présent, d'une réalité qui ne te convient pas. Et si tu réfléchis encore un peu, que tu te souviennes des tragédies grecques, des récits d'Homère, de toute cette hémoglobine qui, en filigrane, y coule à grands flots, le doute quant à l'idée d'un tel paradis se dissipe aussitôt. La brutalité d'autrefois est bien semblable à celle d'aujourd'hui. Cependant que tu te complais encore, de temps en temps, à imaginer qu'elle ne se manifeste pas de la même façon. Une brutalité innocente, joyeuse, contre une brutalité consciente, d'une tristesse infinie. La fin justifie désormais plus que jamais les moyens. Est-ce que cette finalité est si différente aujourd'hui ? Probablement pas. Le pouvoir sur autrui, la réussite, la célébrité, le profit, l'intérêt, voici les fins pour une majorité et qui se déclinent sous tant de masques, de comédies, désormais grotesques. Et si jadis tu pensais que ces buts ne relevaient que des préoccupations d'une minorité, aujourd'hui tu sais que même un misérable est en droit de s'en illusionner au même titre qu'un magnat de l'industrie pharmaceutique. S'il ne peut régner sur un empire, il le fera depuis son angle de rue par tout moyen possible. Les buts à la con se sont emparés de la plupart des cervelles. Et même toi, tu y auras succombé comme tout un chacun. L'art naît ensuite tout au bout de ce constat. Et si enfant tu n'étais pas aussi lucide quant à ce que tu viens d'écrire, ton instinct réagissait immédiatement face aux beaux objets dont tu n'avais qu'une envie, celle de les détruire. La plupart du temps quand tu relevais un manque, que la colère t'emportait vers les zones les plus obscures de toi. La destruction des objets, pas n'importe lesquels, surtout ceux qui étaient le fruit de sacrifices, de temps passé à économiser pour se les offrir ou les créer, étaient ta cible prioritaire. À quoi donc pensais-tu lorsque tu t'emparas d'un cutter pour l'enfoncer dans une des toiles réalisées par ta mère et qu'elle avait accrochée à l'un des murs de la chambre ? Que voulais-tu anéantir sinon toute la fausseté que tu imaginais alors comme seule responsable de ton malheur enfantin ? Et que savais-tu de l'intention qui l'avait menée à peindre ces chefs-d'œuvre familiaux entre quelques heures de ménages, de repassage, le dépeçage d'un lapin, l'engorgement d'une poule, dont tu conserves encore les souvenirs ensanglantés accrochés à l'un des poiriers du jardin ? Et ce que tu considérais comme manque, il te fallait au moins une culpabilité à sa mesure, voire la dépassant pour que tu puisses l'oublier, t'en défaire afin d'être responsable, de te procurer ce vertige – cette illusion de contrôle de maîtrise qu'offre en creux une telle responsabilité. Maintenant tu t'agaces de la même façon à la lecture de certaines phrases assénées par des membres du groupe de l'atelier d'écriture sur la bonne pratique de l'écriture, la relecture, le polissage des textes. Toute cette peine que d'aucuns mettent en avant pour désigner un texte remarquable, bien écrit ou qui tombe bien comme un vêtement. Mais dont le fond est d'une indigence à hurler. Ta colère n'a pas vraiment changé. Elle est toujours aussi intacte. Sauf que tu n'utilises plus de cutter. Tu coupes autrement dans le vif. Tu tournes les talons, tu rejoins le silence. Peut-être que pour toi rester jeune nécessite cette forme de violence, cette légèreté dans la façon de l'exprimer comme de danser, sauter par dessus ce vieux taureau Minoen. Assez pathétique au final.|couper{180}

Espaces lieux réflexions sur l’art

Carnets | janvier 2023

17 janvier 2023-4

Tu intègres les actes manqués comme des actes au même niveau que tous les autres. C'est-à-dire une ruse encore qui provient de ton unité cachée. Parler de l'inconscient est trop facile à ce point donné du parcours. Ainsi hier, tu oublies complètement la réunion Zoom où doit s'exprimer Laurent Mauvignier. Peut-être que si tu y penses aujourd'hui et que tu en cherches la raison, c'est affaire de trop grande proximité. Une inquiétude qui en découle aussitôt que l'on s'imagine cette proximité. Mais ce n'est pas une première fois. Toutes les occasions où se reconstruit l'idée du danger d'une telle proximité, tu pourrais les récapituler et les lister. Une énergie est bloquée là. Et il semble qu'une volonté obscure exige qu'elle le reste. Volonté à laquelle tu as pris d'instinct l'habitude d'obéir. Obéissance que tu peux mettre en parallèle avec ton obstination à n'être toujours qu'un débutant en toute chose.|couper{180}

Auteurs littéraires

Carnets | janvier 2023

17 janvier 2023

Le sacré et le profane. C'est une histoire de lieu. Il faut isoler un lieu d'un autre. Le mot « Kadosh » qui signifie sacré en hébreu désigne au féminin « kadosha », la prostituée. Le rapport entre les deux fonctions de ce même mot semble un peu plus clair quand on se cantonne ainsi au lieu. Il y a une autre orthographe du mot - « Quadosh » - qui signifie séparé. Kadosh est aussi un grade de franc-maçonnerie. Lors de son initiation, le chevalier kadosh est invité à piétiner le diadème papal. Ce qui signifie encore une affaire de lieu de façon symbolique. En résumé, Dieu et ses représentants sur terre, on s'en fout. Ce qui est important en revanche, c'est soi, c'est-à-dire ce cercle dans lequel on est enfermé et le labyrinthe qu'il contient - notre propre vie - comme un chemin à l'apparence complexe et qui passe, elle aussi, dans sa représentation plastique par un centre vide - nul besoin de Minotaure. Le cercle est le lieu dont Dieu s'est retiré pour que l'homme puisse agir avec son libre arbitre. Dieu, qui est le tout, ainsi laisse un vide, un espace, un lieu, un possible. Et par conséquent, on devient ainsi en droit d'effectuer une différence à ce moment-là entre sacré, sainteté et religiosité. C'est dans ce lieu du sacré que s'effectue la prise de conscience que nous sommes dans un cercle, un vide qui lutte de toute sa périphérie, sa circonférence pour ne pas se retrouver réduit à un point. D'ailleurs, une chose étonnante est de pouvoir définir la circonférence et le diamètre d'un cercle, mais impossible d'en mesurer avec une précision nette le rapport. Le nombre 3,14116 etc. par l'infinité des décimales ne s'arrête jamais. Maintenant que tout cela est dit, tu peux aussi bien te réjouir que te lamenter. Tu es comme l'une des deux souris tombées dans le bol de lait. Laquelle veux-tu être ? Celle qui dit « il n'y a rien à faire, je me laisse couler » ou l'autre qui bat des pattes et ne cesse de glisser sur le bord du bol... Oui, mais à la fin, à force de battre le lait, ça devient du beurre, on a une surface solide, et donc une possibilité de s'évader. Évidemment, aucune souris ne sait d'avance que l'obstination produit du beurre. Encore un lieu qui se situe entre ce que l'on sait et ce que l'on ignore. Un entre-deux. Ou encore le lieu même où s'exerce le mouvement. Le lieu où mouvement et immobilité sont deux forces réelles enfin. Possible aussi d'évoquer l'horizontalité et la verticalité qu'inspire l'idée du cercle comme lieu de vie ; on peut s'y déplacer dans les deux dimensions. Voir l'horizon ou voir l'ensemble de haut ou d'en bas. Un autre symbole qui vient à l'esprit presque aussitôt est celui de l'échelle de Jacob. Pourquoi les anges emprunteraient-ils une échelle alors qu'ils ont des ailes pour monter et descendre ? L'échelle est une réalité physique dans ce cas que l'on doit gravir ou descendre en opposition au fantasme de vol comme à celui de toute chute. L'échelle est aussi la matérialisation du lieu comme du chemin qui traverse tous les lieux. Ensuite, tu te demandes pourquoi tu as du mal à effectuer une distinction entre lieu et espace. Tu peux te dire que l'espace est un doute, comme le disait Perec, et que ce serait facile logiquement de désigner le lieu comme un endroit précis. L'endroit de l'envers. Mais l'origine des étymologies est comme la décimale de Pi. Chercher la définition d'un mot ou son étymologie renvoie à 100 mots et chacun encore à 100 mots, etc. Donc encore une belle occasion, si on a enfin saisi l'humour de tout cela, de se dire : « DIEU et ses décimales, on s'en fout. » Surtout si on le sait désormais. Et ne surtout pas trop penser que ce que tu écris ici est une configuration de chiffres après la décimale et donc de lettres, tout comme le sont les œuvres de Pessoa, Kafka, Rabelais, Joyce, etc. à l'infini. Et tu peux aussi dire avec un sourire que ce blog est sacré puisqu'il est pour toi un lieu tout à fait à part. Que l'humour est le seul moyen, au final, de résoudre toute contradiction.|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art

Carnets | janvier 2023

Le double voyage 01-2.

ce que dit de soi ce que l'on photographie en n'y songeant pas. La nuit d'avant, tu n'avais que peu dormi, tiraillé entre la peur et le désir d'effectuer ce voyage. Et l'idée d'y renoncer revint plusieurs fois. Tu pesais le pour et le contrepour essayer de te rassurer ou de t'effrayer encore plus. Au final le nombre des actes posés en faveur de ce départ l'emportait sur toutes les pensées qui t'assaillaient. Tu avais cette impression persistante d'être double, et de ne pas pouvoir parvenir à n'être qu'un. Peut-être que si tu t'étais penché un peu plus sur l'origine de cette séparation, de cette division, il ne t'aurait pas fallu beaucoup de temps pour en revenir à des raisons simples, fondamentales, une origine. Par exemple, du coté de ta mère, la légende faisait du voyage un mythe fondateur, et que de l'autre, du père, le terroir fondait aussi une grande part de qui tu étais. Possible que le mot voyage fait encore surgir plus de 30 années plus tard l'idée d'un abandon, d'une perte irrémédiable, d'une nécessité de se réinventer totalement, en même temps qu'elle s'y oppose en tant que loisir, ou banal bien de consommation. Et aussi, tu te rends compte aujourd'hui que tu écris ces lignes, que ton choix quoique tu aies pu penser, hésiter cette nuit là, la nuit d'avant le grand départ, était déjà fait depuis longtemps, depuis toujours. Ce grand-père estonien, qui avait déjà dû sacrifier beaucoup pour quitter l'Estonie, se rendre à Saint-Petersbourg pour étudier l'art, avant la révolution de 1917, puis décider de tout quitter encore pour s'exiler en France à Paris, ce fantôme qui te hante depuis toujours, fut le modèle que tu avais choisi sans même en prendre conscience. Cette dichotomie, la source de toutes tes hésitations et de tes choix irréfléchis en apparence, tu peux en remonter aujourd'hui la trace, poser le doigt sur cette plaie purulente qui jamais ne se sera totalement refermée ou cicatrisée. Cette blessure qui toute ta vie durant tu léchas mais aussi trituras quand l'oubli menaçait de ne plus la sentir présente, d' en souffrir. Comme si il n'y avait jamais eut d'autre vecteur plus puissant que la tristesse, la douleur, cette nostalgie étrange d'un homme, d'un pays que tu ne connus jamais, pour fonder cette part de toi, une part cachée, la plupart du temps inavouable. Aujourd'hui tu cherches les raisons pour lesquelles tu n'as pas compris cette chose simple à l'époque. C'est encore la nuit, tu t'es réveillé en sueur et en pensant à ta mère alors que tu n'y penses plus que très sporadiquement dans tes journées. Peut-être à cause d'un rêve dont tu ne te souviens plus non plus en te réveillant. Mais dont l'oubli lui-même en dit énormément. Suffisamment en tous cas pour que soudain tu comprennes que si tu as toujours voulu t'éloigner de quelqu'un, de quelque chose, c'était toujours que dans l'espoir de parvenir enfin à mieux t'en rapprocher. Cette obligation de rejet de ta mère, afin de pouvoir survivre, cette nécessité pensais-tu, pour ne plus rester bloqué dans cette immense nostalgie qu'elle chérissait comme leg et n'eut de cesse de vouloir te léguer aussi, c'était l'unique aspect négatif et dont elle ne fut qu'une victime consentante elle aussi. Et elle aussi, tout comme toi, avait sans doute opté pour ce que tu considères toujours être comme une forme de facilité, voire de lâcheté qui consiste à déclarer à haute voix ne t'inquiète pas tout va bien alors qu'en fait non, rien n'alla jamais. Rien n'alla jamais car impossible de prendre cette distance avec sa propre histoire afin de mieux la voir, la comprendre, en faire autre chose que ce que nous en avions fait. Et quand l'aube arriva, la sensation que tu éprouvas était-elle enfin à la mesure de l'éloignement auquel tu aspirais depuis toujours pour les retrouver ces fantômes ? le malaise inouï se confondant avec un soulagement immense au moment même où tu te posas sur le siège du bus qui t'emporta, ton ignorance et ta jeunesse les étouffa.|couper{180}

Le double voyage 01-2.