janvier 2023

Carnets | janvier 2023

4 janvier 2023-3

Alors que le narrateur gravit les marches d’un escalator, une surprise l’attend au sommet. Ce n’est pas l’exposition attendue, mais une rencontre inattendue avec l’œuvre monumentale de Gérard Garouste, déclenchant un flot de souvenirs et de réflexions sur le passé, l’art et la rétribution de la violence intime.|couper{180}

Autofiction et Introspection écriture fragmentaire Narration et Expérimentation

Carnets | janvier 2023

4 janvier 2023-2

2022 s’achève avec une nouvelle étape franchie sur ce blog : 10 000 visiteurs et plus de 1000 articles publiés. Mais au-delà des chiffres, c'est une réflexion personnelle sur la constance de l'écriture, le plaisir ambigu qu'elle procure, et les projets qui restent à définir.|couper{180}

Autofiction et Introspection Narration et Expérimentation

Carnets | janvier 2023

04 janvier 2023

L’auteur exprime une désespérance lucide face à l’écoulement du temps et à la dispersion des efforts, tout en tentant de trouver une forme de sérénité dans l’acceptation de sa condition. Une réflexion intime sur la création littéraire et le sens de la persévérance.|couper{180}

Autofiction et Introspection idées

Carnets | janvier 2023

Humain et main

Kokoschka tout comme Garouste attirent l'attention du public autant sur les visages que sur les mains. L'expression du visage ne pouvant se passer de celle de la main. Comme il est heureux, essentiel, humain, d'observer la gestuelle de quelqu'un qui s'exprime à voix haute. Coïncidence ou bien disposition d'esprit ? chance d'avoir vu ces deux expositions à la suite.|couper{180}

peintres

Carnets | janvier 2023

03 janvier 2023

Comment éviter que l’écriture ne devienne une simple accumulation de détails factuels, sans émotion ni profondeur ? John Gardner parlait de "frigidité" lorsqu'un auteur se dérobe aux émotions, se cachant derrière des descriptions fades et désincarnées. Ce texte réfléchit à ce concept et le met en parallèle avec des expériences personnelles où l'écriture devient une forme de miroir de nos propres limites|couper{180}

Autofiction et Introspection Lovecraft

Carnets | janvier 2023

3 janvier 2023

Toute la nuit fut marquée par le sceau du lit. J’ai dressé mentalement l’inventaire de tous les lits où j’ai dormi. Une pagaille. Des lits doubles en bois massif, des paillasses, des lits de camp. Mais le seul lien, c’est la sensation d’être allongé. Elle n’a pas changé. Elle était là, intacte, malgré les métamorphoses du corps. Un corps en sécurité, mais pour un temps limité. Une sécurité fabriquée par le fait de s’allonger, de se glisser sous une couverture. Peu importe le textile : c’est l’enfance qui a inventé cette illusion. Elle s’est déplacée de lit en lit, tout au long de la vie. Même partagée, cette chaleur était une invention. Un refuge. Comme on se réfugie seul sous ses draps glacés pour les réchauffer de son propre feu. Un genre de dérivation. Un lit unique, qui traverse l’existence, étalé de tout son long dans cet étrange voyage|couper{180}

idées Théorie et critique littéraire

Carnets | janvier 2023

Dernier jour de l’exposition Garouste

illustration Le Banquet de Gérard Garouste. En empruntant l'escalator le corps retrouve naturellement une position oubliée. Le dépôt du pied droit sur la marche supérieure et la recherche d'un barycentre dans la foulée. Comme si le temps n'avait pas passé. que je sois encore ce jeune homme empruntant le même escalator plus de trente cinq ans après. La petite joie sauvage de s'en rendre compte en préambule à la claque formidable qui m'attend au 6eme étage du Centre Georges Pompidou. Mon épouse avait pris soin de réserver nos places pour le dernier jour de l'exposition du peintre Gérard GAROUSTE Et comme je suis dans la lune, je ne m'en souviens plus du tout je pensais aller voir Oscar KOKOSHKA, ou, à la rigueur Alice NEEL. C'est dire à quel point tout emploi du temps, tout projet m'échappe. Et comme je me sens plus à l'aise dans la confusion des temps, comme j'ai fini par m'y habituer surtout. Et donc la surprise de me retrouver à l'entrée de cette exposition. Je connais bien sûr le travail de Garouste pour l'avoir vu surtout en photographie ou imprimé dans de beaux livres, mais là me retrouver sur le seuil et effectuer le constat du monumental, immédiatement me flanque une claque visuelle pas volée. J'aurais regretté de ne pas y être allé c'est certain. Que dire de cette émotion ressentie avec le tout premier dessin au fusain sans évoquer ce tressaillement des tripes quand l'œil part à la découverte du chemin du trait. Un trait qui mêle la violence et le doux, un trait de sage ou de fou, difficile de séparer les deux, de faire un choix, difficile de faire pencher la balance, le fléau c'est le doute. Et ce sera ainsi durant toute l'exposition, une progression avec ce doute qui finit par être un bon compagnon. Car par principe je suis méfiant vis à vis de tout artiste élevé au pinacle par l'institution. Autrefois on aurait dit l'académie. Mais j'ai lâché mon principe derechef face à cette générosité de la peinture de Garouste - c'est ce qui me vient tout de suite dès les premiers tableaux, sa série théâtrale sur le classique et l'indien Des huiles flamboyantes d'où surgit ce blanc presque aveuglant marquant l'opposition complexe avec les fonds bruns- complexe parce qu'entre les deux extrêmes s'interposent comme médiatrices les couleurs. médiatrices entre folie et sagesse, doute et certitude, duplicité ou complicité de ces couleurs qui rejaillit sur les extrêmes en les transformant en autre chose que des extrêmes justement. En commençant à écrire ces lignes j'éprouve la sensation d'être attiré par un gouffre. Une sorte de piège qui m'obligerait à vouloir tout dire dans le détail de ce que j'ai éprouvé en pénétrant de salle en salle. L'œuvre est immense. Il me faudrait des pages et des pages. Ce qui ne convient pas dans l'usage de ce carnet. Mais peut-être que noter cette sensation de claque formidable me renvoie surtout à l'une de ces trempes mémorables que m'infligeait mon père. Et surtout cette étrange sensation qui surgit généralement tout de suite après, un apaisement infini. Ce qui est intéressant de constater en lisant la biographie de l'homme c'est qu'il avait un père similaire au mien. Et que cette œuvre qu'il a produite participe de la même violence qu'on lui aura infligée. Cependant il en aura fait une chose merveilleuse ou monstrueuse simultanément. Et dans laquelle je ne peux que me reconnaître absolument. Une gratitude qui surgit tout à coup devant l'immense tryptique du Banquet C'est le mot rétribution qui me vient aussitôt à l'esprit au beau milieu de ma sidération. Quelqu'un l'a fait et peu importe que ce ne soit pas moi me dis-je à ce moment précis et grande libération grand apaisement dans l'instant, comme un dénouement.|couper{180}

peintres

Carnets | janvier 2023

Note d’intention

exposition Munch Musée d'Orsay un exercice que je ne cesse de repousser depuis plusieurs semaines. Sans doute parce que j'ai peur d'y découvrir. Quelle intention ne serait pas puérile parmi toutes celles qui me viennent à l'esprit pour fabriquer un recueil de ces textes. Je n'arrive plus à m'ôter de l'esprit les mots masturbation et éjaculation précoce quant à ce que j'appelle l'écriture- ce plaisir solitaire dont j'use ou abuse. Le petit livre de Christophe Siébert m'avait redonné un coup de fouet. Fabrication d'un écrivain est un petit ouvrage d'une douzaine de pages que l'on peut télécharger gratuitement sur le site des éditions Au diable Vauvert. Mais le retour à la réalité ensuite provoque une prise de conscience fort désagréable. On ne commence pas une carrière d'écrivain à soixante trois ans. C'est ce que je ne cesse de ruminer en ce moment. Et peut-être qu'à force d'honnêteté envers moi-même trouverai-je enfin mon vrai sujet. c'est à dire cette désespérance de voir comme le temps d'une vie passe vite et combien s'atteler à une seule tâche quotidiennement comme un paysan creuse son sillon est profitable au regard de toute dispersion- ce que l'on nomme une expérience riche et variée- et qui n'est qu'un leurre, une fuite, et probablement aussi une forme insidieuse de lâcheté. Des visions à la Bosch ne cessent de surgir dans la journée. Les silhouettes dans la ville balayées par un vent terrible et qui s'envolent comme des fétus de paille, dans une insignifiance qui contre toute attente n'est pas terrifiante, elle Tout au contraire. Le fait de me reconnaître enfin comme l'un de ces milliards d'anonymes est une forme de consolation étrange. Ainsi la terreur, si on l'affronte les yeux grands ouverts nous propose donc d'abdiquer ou de nous débarrasser d'un surplus d'un superflu qui nous entravait comme un boulet auquel on s'était attaché. S'en libérer soudain la fait s'évanouir et s'ouvre alors la béance telle une porte qu'il ne nous reste plus à emprunter.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

Frigidité littéraire.

John Gardner (voir plus d'information ici) parle de frigidité quand l'auteur ne creuse pas assez dans les émotions de l'un de ses personnages, qu'il évite de plonger au plus profond de son propre inconscient pour élaborer des descriptions. par exemple- des descriptions qui ne soient pas que factuelles ou simple accumulation de détails sans queue ni tête. Lorsqu'il traite un matériau sérieux et profond avec désinvolture ou superficialité, ou bien quand il ne cesse lui-même de se mette en avant au dépend de ses personnages, de l'intrigue, par une façon de raconter dans laquelle il ne parvient pas à s'effacer. Pour résumer Gardner considère qu' il s'agit d'une faute grave car elle indique un manque de sensibilité ou d'attention de part de l'écrivain vis à vis de son sujet. En quelques lignes voici donc simultanément une question une difficulté un doute qui m'incite à réfléchir encore plus quant à une façon d'écrire. Moins de quantité plus de qualité Possible que qualité et sobriété s'y trouvent mieux associés. Qu'un travail en amont comme en aval s'oriente grâce à de bonnes questions comme autant de point de repères vers la justesse du propos. Le mot frigidité assez désagréable à lire car tout de suite des personnages de femmes (?) surgissent. De ces femmes (?) superbes qui ne se résument qu'à cela. Mais ce serait la même observation quant aux beaux parleurs. Dont je me souviens avoir été à une époque de ma vie. L'utilisation de la parole mais aussi de l'écriture comme une auto-hypnose la plupart du temps. Et ce terme de frigidité très approprié qui resume bien ce qui se projette tel un nuage d'encre. Et l'effroi bien sûr de comprendre que l'on est très souvent ce que l'on rejette le plus. Et l'agacement du paragraphe rédigé à la suite en percevant justement une réalité désagréable, donc forcément du vrai. Le premier janvier commence avec des cris. une histoire de tablette qu'un gamin emporte jusque dans les toilettes et qui met hors d'elle mon épouse sa grand-mère tandis que debout depuis quatre heure du matin pour écrire -mais râpé pour l'occasion- je m'étais recouché vers sept dans l'espoir de dormir au moins jusqu'à neuf. Danger que je perçois en revenant à l'usage du carnet non pas de tout y consigner comme je le faisais autrefois, mais de tout publier. Et en même temps je me rends compte aussi en raison de ces publications qu'elles font office de censure. Que le fait de m'obstiner à cette publication quotidienne trouve sans doute une justification en cela qu'elle m'empêche. Ce qui ne m'empêche pas d'écrire en parallèle du blog des choses abominables. La détente que procure l'abominable ou le,terrifiant à rapprocher de la lecture de Lovecraft ou de cette visite de l'exposition de Munch et probablement Kokoschka ce lundi. une quête d'équilibre par le déséquilibre au final comme en peinture -souvent, toujours (?) de manière asymétrique. Vertige de l'idiotie Le juge des affaires familiales déclare donc, qu'en ces circonstances, la garde des enfants se réduira, pour la mère, à deux dimanches dans le mois , en dehors des périodes de vacances scolaires Ce qui provoque dans l'immédiat la levée soudaine de ce corps assis face à lui puis un flot intempestif de paroles inconsidérées s'achevant par "un puisque c'est comme ça, allez tous vous fait foutre, je me barre" Puis le déplacement de ce même corps mais plus lourd soudain plus empêché, jusqu'à la porte qu'il ouvre puis claque derrière lui. Ce qui provoque l'apparition sur le visage des enfants d' une grimace que l'on pourrait traduire par comique si le tragique ne pouvait pas ne pas se traduire ainsi, la plupart du temps, pour un employé au greffe contraint à la plus juste des neutralités. Et enfin vision à partir d'une fenêtre, sortie du tribunal, et le jaillissement de ces flots de bile mélangés à des restes de frites et autre éléments du déjeuner qui se répandent sur la chaussée. Une gerbe en mémoire d'une mère inconnue qui vient de les laisser choir comme de vieilles chaussettes malodorantes et trouées. Un vertige dû à cette découverte trop précoce de l' illusion d'un lien de filiation qui se dérobe sous de petits pieds d'enfants, comme un sol emporté par une nouvelle crue du réel. cherche le mot frigide sur google... et tu tombes sur des pages et des pages à propos de l'orgasme. Ce qui ne t'explique pas grand-chose. Ou bien ce n'est pas dans cette direction du tout que tu veux te rendre. l'orgasme n'étant au bout du compte qu'un livre, un tableau, un résultat, une cendre.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

02 janvier 2023

L’exposition Munch au Musée d’Orsay commence pour moi par un soupçon assez simple, presque brutal : je me retrouve devant ces tableaux en me disant qu’ils ont l’air bâclés. Les surfaces paraissent rapides, brutales, les couleurs tirent vers des bruns et des violets que je ne qualifierais pas de séduisants, avec ces tonalités presque ternies qui donnent d’abord une impression de négligé. Partout des mains seulement indiquées, des visages à moitié résolus, des fonds traités par larges masses sans détail. C’est un choc, mais pas celui que j’attendais. Je croyais venir voir une peinture plus spectaculaire, plus “expressionniste” au sens caricatural du terme, et je me retrouve avec cette économie presque sèche, comme si Munch avait décidé d’arrêter ses toiles deux ou trois étapes avant ce que j’appellerais spontanément un “fini”. D’où cette question qui revient plusieurs fois en traversant les salles : est-ce que je suis devant une forme de bâclage, ou est-ce que c’est moi qui confonds inachèvement visible et décision d’arrêt ? Cette austérité fait penser à une certaine tradition protestante, à des fonds sombres presque flamands, à une peinture qui refuse le spectaculaire pour se confronter directement à la vie et à la mort. Pas de surcharge, pas de pathos appuyé, mais une gravité qui tient dans la réserve. Ce que j’éprouve là, des critiques l’ont formulé bien avant moi, et pas à voix basse. En 1892, à Berlin, l’exposition de Munch provoque un scandale au point d’être fermée. Ce qui revient dans les témoignages de l’époque, c’est précisément l’accusation d’inachèvement : tableaux jugés expédiés, peints trop vite, surfaces vues comme des esquisses plutôt que comme des œuvres terminées. On lui reproche de mépriser le public, de traiter la peinture avec arrogance, d’exposer ce qui, dans les codes d’alors, aurait dû rester à l’atelier. Il ne respecte ni le temps attendu du travail ni la hiérarchie implicite entre étude et tableau définitif. Autrement dit, mon “c’est bâclé” intérieur n’a rien de nouveau : il rejoue, à distance, la résistance première de spectateurs pris dans une autre définition de ce qu’est un tableau achevé. La différence, c’est que je sais qu’entre 1892 et aujourd’hui, il s’est passé quelque chose dans la manière de penser le “non-fini”, et c’est ce quelque chose qui me permet peut-être de déplacer mon premier jugement. Car la critique moderne, au lieu de corriger cette impression de bâclage, l’a plutôt retournée, reformulée. Ce que les contemporains prenaient pour de la paresse ou un manque de respect pour le métier est relu comme un choix central : laisser visibles les traces du processus, accepter que certaines zones restent dans un état intermédiaire, refuser le vernis du “fini lisse”. La peinture moderne s’est construite aussi sur cette idée que le tableau n’a plus à dissimuler son propre faire. Chez Munch, cela prend la forme de surfaces volontairement sommaires, de contours qui s’interrompent, de visages à peine articulés, mais qui tiennent pourtant la tension du motif. Ce n’est pas l’absence de travail qui frappe, c’est au contraire la décision d’arrêter avant que le détail ne prenne le pouvoir. L’économie des moyens devient une manière d’affirmer que l’essentiel n’est pas dans la multiplication des petites touches mais dans la tenue d’un ensemble. En relisant ce que la critique récente écrit sur ces toiles, on rencontre souvent cette idée de surfaces “ouvertes”, de tableaux qui gardent quelque chose de l’esquisse comme état permanent. Ce qui était perçu comme un manque devient une forme de modernité : le tableau ne promet plus de clore l’image, il expose un moment du travail, un équilibre provisoire. Quand je reviens mentalement dans les salles d’Orsay avec ça en tête, certains détails qui m’agaçaient au premier passage prennent un autre sens. Cette main à moitié indiquée ne demande pas à être achevée par un spécialiste de l’anatomie, elle suffit pour désigner la position du corps, l’abandon ou la crispation du personnage. Ce visage comme “à côté”, où l’ombre mange une partie des traits, ne réclame pas un portrait plus ressemblant, il sert à maintenir un niveau de présence qui n’a pas besoin d’être photographique. Les fonds, souvent réduits à des bandes de couleur ou à des masses unies, ne sont pas des décors négligés, ils empêchent simplement le regard de se perdre dans des accessoires. Tout ce qui pourrait être ajouté là – un objet, un meuble, une texture de mur – viendrait détourner l’attention de l’axe principal. On comprend mieux alors que l’accusation d’inachèvement touche surtout une certaine idée du tableau comme objet complet, saturé, où rien ne manque. Munch, lui, semble parier sur le fait que oui, il manquera toujours quelque chose, et que c’est dans ce manque assumé que se loge une partie de la force. Cette économie se redouble dans la répétition des motifs. Les mêmes figures reviennent – visages, postures, paysages, situations –, non comme signes d’une panne d’inspiration, mais comme une obsession méthodique : reprendre les mêmes thèmes, l’amour, la mort, l’angoisse, et les creuser encore, différemment, avec de petites variations de lumière, de composition, de distance. Munch n’essaie pas de produire enfin “la version définitive” d’un motif ; il accepte que chaque version soit une tentative interrompue à un autre endroit. Le non-fini n’est pas un accident à corriger, il devient une méthode : reprendre, déplacer légèrement, modifier une couleur, un cadrage, un silence, et décider à chaque fois de s’arrêter ailleurs. L’abondance, ici, apparaît comme une illusion rassurante : multiplier les images pour éviter de s’attarder. Lui fait l’inverse : il revient, il insiste. À ce stade, la question se retourne vers moi presque sans que j’aie besoin de la formuler. Ce que je reprochais aux toiles au début – ce manque de fini, ce côté abrupt – ressemble beaucoup à ce que je redoute dans ma propre pratique : arrêter trop tôt, livrer quelque chose que je juge moi-même incomplet, me passer de la consolation du détail ajouté. Ma tentation spontanée va plutôt dans l’autre sens : prolonger la phrase, densifier la surface, accumuler des couches de peinture ou d’explication pour me rassurer sur le fait que “j’ai assez travaillé”. Voir Munch choisir, de tableau en tableau, un point d’arrêt aussi net, aussi peu décoratif, c’est être obligé de reposer la question autrement : à partir de quand un travail est-il juste, même s’il semble encore brut, et à partir de quand le fignolage n’ajoute plus rien d’essentiel ? La critique de 1892 parlait d’offense au métier ; je me rends compte que ma propre voix intérieure est structurée de la même façon : elle réclame des signes visibles d’effort, des traces de difficulté surmontée. Or les tableaux de Munch me montrent une autre forme d’effort, moins spectaculaire : décider de ne pas aller plus loin, accepter qu’une forme bancale, une main à demi posée, un visage à moitié avalé par l’ombre suffisent pour dire ce qui doit être dit. L’économie des moyens, dans ce cadre-là, n’a rien d’une excuse, c’est au contraire un renoncement coûteux : renoncer aux preuves visibles de virtuosité, renoncer à certaines sécurités, renoncer à l’idée que le spectateur sera rassuré par la quantité. En sortant de l’exposition, la formule “bâclé” ne disparaît pas complètement, mais elle se déplace. Ce qui me frappe n’est plus l’impression de manque, c’est l’exigence que suppose ce manque assumé. Il y a sans doute des toiles moins tenues que d’autres, des moments où l’arrêt est plus fragile, mais l’ensemble compose tout de même une position claire : mieux vaut une image dépouillée qui porte une tension qu’un tableau rempli pour remplir. Pour ma propre pratique, la leçon est assez nette, même si elle n’est pas confortable : si je veux prendre au sérieux ce que je prétends chercher – une forme d’honnêteté, une justesse plutôt qu’un effet –, il faudra accepter des arrêts plus abrupts, des zones non saturées, des textes qui n’expliquent pas tout. Ce que Munch m’enseigne à Orsay, ce n’est pas seulement ce qu’il peint, c’est où il s’arrête, et ce geste d’arrêt, qui a tant fait scandale à Berlin, reste sans doute aujourd’hui encore l’une des décisions les plus difficiles à prendre, que ce soit devant une toile ou face à une page.|couper{180}

réflexions sur l’art