10 juillet 2025

Quand je n’aurai plus rien, j’aurai au moins ça. Ça tourne. Encore. Ce matin, je me le suis dit. Encore. Exulté presque. Puis plus rien. Ça retombe. Plus bas qu’avant. Normal. Sobre. Je le savais. Je le sais. Expérience, disais-je. Je ne suis pas dupe. Toutes les exaltations, toutes les afflictions. Je les aurai faites. Je serai libre, pensais-je. Je l’ai pensé, je crois. Je ne sais plus quand. Mais ça me suit. Rien d’autre ne me suit. Même pas mon ombre. Partie. Un soir de mai. Ras-le-bol. Elle ne voulait plus. Je la montrais. Je parlais à sa place. Je comprends. C’était une erreur. Une faute. Ma faute. Mea culpa. À genoux. Quelques prières. Ave. Pater. Rien. Pas mieux. La foi ne tenait plus. Moi non plus. Seul. Bancs vides. Église. Vent froid. À l’os. Je suis resté là. Figé. À genoux. Longtemps. Rien. Médité. Si on veut. Et là, elle est revenue. La phrase. Toujours la phrase. La première. Peut-être. Je l’ai toujours eue. Je l’aurai toujours. Même mort. Dans la tombe. Même là. Elle sera là. Les bêtes aussi. Elles mangeront. Si elles veulent. Elles l’entendront. Qu’elles la suivent. Si ça leur chante. Et ça continuera. Encore. Jusqu’à la fin. S’il y en a une.


Oh, la nostalgie du tout. D’avoir pu, un jour, le penser. D’avoir pu l’être. Oh, la nostalgie, la voilà. Mensonge chaud et confortable. Et surtout plainte, plainte longue plainte, enfin dire — ou le croire — dire la douleur en boucle. Dans le temps, j’étais tout. Pourquoi ne le suis-je donc plus ? Que s’est-il donc passé ? Est-ce vraiment de ma faute ? En boucle. Depuis potron-minet jusqu’à vêpres. Voire au-delà. Dans la nuit noire. Oh, la nostalgie. Comme elle raconte bien là où ça fait mal. Comme c’est sans faille.


Enfin, après avoir voyagé du tout au rien, et vice versa, il se leva. Un grand besoin de se raser de près l’avait envahi. Il le fallait. Sa vie, ou ce qu’il en restait, en dépendait. Donc il se leva, fit couler l’eau jusqu’à tiède, enduisit ses joues de mousse, et il se rasa très consciencieusement : une première joue, la moitié de la moustache, puis sous le menton, sous la mâchoire. Ensuite, il passa à l’autre côté et fit, à peu de chose près, exactement la même chose. Enfin calmé, persuadé d’avoir fait le nécessaire, il se recoucha. Sa peau était douce au toucher. Une peau de bébé. Il essaya de vider son esprit, pour retrouver le vide de son crâne de bébé. Il y réussit presque, cette nuit-là. À peu de chose près. Et il n’était pas certain de pouvoir refaire la même chose le lendemain. Au moins avait-il essayé, encore une fois, se dit-il, et il resta ainsi, les yeux grands ouverts, jusqu’à l’arrivée de l’aube.


English

When I have nothing left, I’ll still have this. And it goes round and round, this story, this hope, all of it. I told myself again this morning, once more, and I was almost pleased — let’s be honest — almost elated. Then I calmed down, because elation crashes lower than when you stay sober, normal, if you can call it that. From time to time, I experiment, while keeping in mind it’s just that : an experiment. I’m not fooled. And when I’ve gone through all the experiments offered by elation, and affliction too, I’ll be a free man, I once told myself. I vaguely remember saying that, sometime in the past. I don’t know when. But it follows me. In fact, if I think about it, it’s the only thing that does. Even my shadow left me, one evening in May. It had had enough — too much hesitation — and most of all, it couldn’t stand me pretending to be it, dragging it into the light. Which I can completely understand. One of those youthful mistakes. And my fault, my biggest fault. Mea culpa. The priest had me kneel, I said some Hail Marys, a few Our Fathers. Didn’t help. I’d hoped it would. But no. Religion had no hold on me anymore, and suddenly I felt alone — alone in the middle of the village church pews. I remember at that exact moment, a gust of wind rushed into the building and chilled me to the bone. I stayed frozen, kneeling like a penitent, for a few hours. Just enough to think. Nothing more. And it was precisely then I remembered that sentence, the one that’s been following me since the beginning. Maybe it’s the first sentence I ever heard in my life : When I have nothing left, I’ll still have this sentence. I think it’ll follow me into the grave. Then it’ll follow the beasts that feed on my corpse, if they care to follow it — if they feel like it. And it’ll go on like that, probably for a long time, to the end, to the end of ends.


Oh, the nostalgia of being whole. To have once thought it. To have once been it. Oh, here it is, nostalgia. A warm, comfortable lie. And above all, a complaint — a long one. Finally being able to say it, or believe it. Saying pain on a loop. Back then, I was everything. Why am I not anymore ? What happened ? Is it really my fault ? On repeat, from early morning to nightfall. Maybe longer. Into the black night. Oh, nostalgia. It knows exactly where it hurts. No cracks in it.


After going from everything to nothing and back again, he got up. A strong need to shave had come over him. It had to be done. His life, or what was left of it, depended on it. So he got up, ran the tap until the water was warm, lathered his face, and shaved one cheek, half the mustache, under the chin, under the jaw. Then he moved to the other side and did pretty much the same thing. Calmed now, convinced he’d done what was necessary, he lay back down. His skin felt soft. Baby soft. He tried to clear his mind, to return to the emptiness of a baby’s skull. He almost did it that night. Almost. And he wasn’t sure he’d manage the next day. At least he’d tried again, he told himself. And he lay there, eyes wide open, until dawn came.

Carnets | juillet 2025

30 juillet 2025

J’avais dit "table rase", pas pour rien. SPIP et MySQL m’ont répondu en chœur. Tout ce que j’avais construit sur mon site local a été mis par terre par l’importation de ma base de données distante vers mon PhpMyAdmin local. Au début, j’ai tempêté. Des heures et des heures de boulot qui s’envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident était plutôt une chance, que ça allait m’aider. SPIP a connu pas mal de mises à jour, et c’est là qu’il faut être vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre à jour la distribution. Il faut aussi aller voir du côté de la base de données et vérifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis à jour peuvent également s’accumuler et créer des distorsions. C’est à peu près tout cela qui m’est tombé sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou négligence : le débat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilité (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de mémoire et d’attention. La gravité du problème rencontré n’est pas immense. J’avais bien sûr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand même, devoir tout refaire ne m’amuse pas. Cela m’oblige donc à repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os près os — mais sans doute avec un peu plus d’expérience, ce qui se paie d’échecs, comme il se doit. En attendant, je continue à écrire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j’ai déjà quelques trouvailles dans la boîte — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d’une imprimerie de poche pour créer des livres numériques. Reste à savoir ce que j’y mets, dans ces livres. Ce n’est pas l’embarras du choix qui manque.|couper{180}

Technologies et Postmodernité

Carnets | juillet 2025

29 juillet 2025

Contrôler l'accès à la nourriture, c'est contrôler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organisées, aux embargos, aux politiques agricoles. En même temps qu'à la télévision on aperçoit ces parachutages de denrées sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du réalisateur Trần Anh Hùng. Il s’est produit quelque chose d’étrange à cet instant. Une attirance et une répulsion dans un même mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgré la qualité visuelle et sonore — surtout sonore — du film. Ça m’est resté en travers de la gorge. Soudain, cette surreprésentation de la bouffe m’est apparue profondément obscène. Mais pas plus, au fond, que ce qu’on nous fait avaler sur papier glacé, dans les affiches publicitaires, sur les réseaux sociaux. L’importance que la nourriture a prise ces dernières années est considérable. Peut-être que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les réseaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait là déjà quelque chose d’abject, mais j’y accordais sans doute moins d’importance. Peut-être même en ai-je profité, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En écoutant le frémissement du bouillon clair, les rissolements des foies, les rôtis en train de suer, j’avais plutôt envie de dégueuler qu’autre chose. J’avais déjà vu ce film en 2023, je crois, et je n’avais pas éprouvé la nausée à un tel point. Cette célébration m’avait même laissé admiratif, et en même temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent à l’enfance, aux grandes tablées, aux aurores embaumées par l’odeur de brûlure de pattes de volaille, par l’oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l’on se passe comme un relais dans les familles françaises de classe moyenne depuis des générations. Ce goût de la bouffe, de la “bonne chair”, je le transporte encore dans mes gènes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, à tant de reprises, de m’en séparer. De traverser des périodes d’austérité, peut-être dans l’unique but de m’en débarrasser. Mais ça revient. Par le nez, par les papilles. C’est plus fort que moi, comme on dit. Un réflexe pavlovien de chien qui revient vers le maître, celui qui, à la fois, le bat et le caresse. Une voix, tout au fond de moi, voudrait me ramener à je ne sais quelle “raison”. Tu confonds tout, me dit-elle. Tu ne peux pas mettre sur un même plan les exactions, les guerres, l'effroi des images que ces événements charrient, avec l'atmosphère tellement chaleureuse d'un film célébrant la gastronomie française. Tu ne peux pas, tu n’en as pas le droit, continue-t-elle. Je l’écoute, je la respecte. Mais pourtant, si je mets cela en parallèle, si je les place sur un même plan, c’est que le plan du dégoût est devenu si vaste, une fois les apparences traversées — les apparences tellement claires — ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas.|couper{180}

hors-lieu

Carnets | juillet 2025

paupière tombante

Voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile. Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux. Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire. Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé. La honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. Voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. Honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. Le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. la honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend.|couper{180}

recto_verso