11 juillet 2025
Sans doute que tout ce que j’écris n’inspire qu’une sorte de malaise. Ce n’est pas étonnant étant donné que l’écriture est une sorte de rustine que je tente de placer sur ce malaise pour le colmater. Je pourrais conserver ces écrits dans un tiroir. Faire preuve d’un peu de pudeur, mais ce serait insatisfaisant sur le plan intellectuel. Si je publie ce que j’écris c’est d’une part pour l’évacuer mais ce n’est pas pour me venger de quoi que ce soit, je ne le crois pas ou plutôt je ne le crois plus. Si je publie ce que j’écris c’est pour montrer une sorte de chemin que je n’ai cessé d’emprunter depuis l’âge de trente ans. Ce n’est pas de la littérature à proprement parler. Ce n’est pas non plus de la philosophie, de la psychologie, ce n’est pas non plus de l’art. C’est une sorte d’objet indéfinissable ( en tout cas pour moi ). De mon côté c’est ainsi mais là aussi je sais que je manque de moyens pour en juger et le fait de publier ces textes est une manière aussi de dire c’est à vous à toi collectivité de le dire, tout en prenant bien soin de mon côté de ne pas vraiment vouloir entendre ce que l’on pourra en dire. Ce n’est pas que ça ne m’intéresserait pas, mais le risque que ça fige cet ensemble dans une définition me demanderait encore un surcout d’énergie pour ne pas en tenir compte. Il faut donner la part aux fauves parce que les fauves sont de ce monde comme je suis probablement de ce monde. Leur jugement quel qu’il soit est leur nourriture. Ils sont heureux peut-être ainsi parce qu’ils ne connaissent pas autre chose. Ils sont dans l’hypnose produite par la recherche de ce plaisir pré déterminé. Ce plaisir là je l’ai traversé en son temps mais l’hyper vigilance qui me frappe depuis toujours m’interdit de m’y reposer trop longtemps. Il me faut aussi lutter contre un jugement interne que je ne cesse d’entretenir envers ce que je produis et qu’il m’arrive de qualifier de déballage exhibitionniste Ce que Winnicott nomme la crainte du faux self : La peur d’être trop, mal placé, déplacé — la peur que le vrai soit lu comme impudique, que le nu soit lu comme obscène. Mais je ne peux rien faire pour m’opposer avec vigueur ou bon droit à cette éventualité que tout ce que j’écris soit ainsi perçue. Cette blessure anticipée est déjà cautérisée avant qu’elle n’advienne tant l’immersion dans mon propre ridicule, ma version risible a été traversée tant et tant de fois comme une jungle qu’on explore. Certains pourraient et moi-même parfois aussi penser qu’il s’agit d’un écrit très présomptueux, voire même méprisant envers le lecteur. C’est aussi un risque à prendre que celui de montrer dans quelle prison de jugement nous sommes reclus à chaque instant. Et si cela peut permettre à l’un ou l’autre d’en prendre un peu plus conscience, alors ce texte n’aura pas été si totalement inutile que je le pense par réflexe.
july-11-2025
Perhaps everything I write only provokes a kind of discomfort. That would make sense, since writing is a kind of patch I try to place over that discomfort to seal it. I could keep these texts in a drawer. Show a little modesty. But that would be unsatisfying, intellectually. When I publish what I write, it’s partly to evacuate it, but it’s not to take revenge for anything — at least I don’t believe that anymore. I publish what I write to show a sort of path I’ve kept to since I was thirty. It isn’t really literature. It isn’t philosophy, or psychology, or even art. It’s a kind of object I can’t define — at least not from where I stand. I know I lack the tools to judge it, and publishing is also a way of saying : here, it’s for you, for others, for the collective to name it — while also taking care not to really want to hear what might be said. It’s not that I wouldn’t be interested, but the risk of having the whole thing pinned down, turned into a definition, would demand another layer of energy just to resist or ignore it. You have to feed the beasts, because the beasts are of this world, as I probably am too. Their judgment, whatever it may be, is their nourishment. They may be happy that way, because they know no other. They’re hypnotized by the pursuit of a certain kind of predetermined pleasure. I’ve passed through that kind of pleasure too, but the hypervigilance I’ve always carried won’t let me rest there for long. I also have to fight with an internal judgment I constantly direct at what I produce, which I sometimes call an exhibitionist outpouring. What Winnicott called the fear of the false self : the fear of being too much, poorly placed, somehow misaligned — the fear that what is true will be read as indecent, that the bare will be read as obscene. And there’s nothing I can really do to stop this eventuality, that everything I write might be seen that way. That wound is already cauterized before it happens. I’ve passed through my own ridiculousness, my risible version, so many times — like a jungle crossed over and over. Some may think — and at times I do too — that this is a presumptuous piece of writing, perhaps even contemptuous of the reader. That, too, is a risk : to reveal the prison of judgment in which we are held, moment to moment. And if this helps even one person to become more aware of it, then maybe this text will not have been entirely useless, even if I tend to think so by reflex.
Pour continuer
Carnets | juillet 2025
30 juillet 2025
J’avais dit "table rase", pas pour rien. SPIP et MySQL m’ont répondu en chœur. Tout ce que j’avais construit sur mon site local a été mis par terre par l’importation de ma base de données distante vers mon PhpMyAdmin local. Au début, j’ai tempêté. Des heures et des heures de boulot qui s’envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident était plutôt une chance, que ça allait m’aider. SPIP a connu pas mal de mises à jour, et c’est là qu’il faut être vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre à jour la distribution. Il faut aussi aller voir du côté de la base de données et vérifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis à jour peuvent également s’accumuler et créer des distorsions. C’est à peu près tout cela qui m’est tombé sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou négligence : le débat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilité (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de mémoire et d’attention. La gravité du problème rencontré n’est pas immense. J’avais bien sûr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand même, devoir tout refaire ne m’amuse pas. Cela m’oblige donc à repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os près os — mais sans doute avec un peu plus d’expérience, ce qui se paie d’échecs, comme il se doit. En attendant, je continue à écrire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j’ai déjà quelques trouvailles dans la boîte — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d’une imprimerie de poche pour créer des livres numériques. Reste à savoir ce que j’y mets, dans ces livres. Ce n’est pas l’embarras du choix qui manque.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
29 juillet 2025
Contrôler l'accès à la nourriture, c'est contrôler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organisées, aux embargos, aux politiques agricoles. En même temps qu'à la télévision on aperçoit ces parachutages de denrées sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du réalisateur Trần Anh Hùng. Il s’est produit quelque chose d’étrange à cet instant. Une attirance et une répulsion dans un même mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgré la qualité visuelle et sonore — surtout sonore — du film. Ça m’est resté en travers de la gorge. Soudain, cette surreprésentation de la bouffe m’est apparue profondément obscène. Mais pas plus, au fond, que ce qu’on nous fait avaler sur papier glacé, dans les affiches publicitaires, sur les réseaux sociaux. L’importance que la nourriture a prise ces dernières années est considérable. Peut-être que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les réseaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait là déjà quelque chose d’abject, mais j’y accordais sans doute moins d’importance. Peut-être même en ai-je profité, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En écoutant le frémissement du bouillon clair, les rissolements des foies, les rôtis en train de suer, j’avais plutôt envie de dégueuler qu’autre chose. J’avais déjà vu ce film en 2023, je crois, et je n’avais pas éprouvé la nausée à un tel point. Cette célébration m’avait même laissé admiratif, et en même temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent à l’enfance, aux grandes tablées, aux aurores embaumées par l’odeur de brûlure de pattes de volaille, par l’oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l’on se passe comme un relais dans les familles françaises de classe moyenne depuis des générations. Ce goût de la bouffe, de la “bonne chair”, je le transporte encore dans mes gènes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, à tant de reprises, de m’en séparer. De traverser des périodes d’austérité, peut-être dans l’unique but de m’en débarrasser. Mais ça revient. Par le nez, par les papilles. C’est plus fort que moi, comme on dit. Un réflexe pavlovien de chien qui revient vers le maître, celui qui, à la fois, le bat et le caresse. Une voix, tout au fond de moi, voudrait me ramener à je ne sais quelle “raison”. Tu confonds tout, me dit-elle. Tu ne peux pas mettre sur un même plan les exactions, les guerres, l'effroi des images que ces événements charrient, avec l'atmosphère tellement chaleureuse d'un film célébrant la gastronomie française. Tu ne peux pas, tu n’en as pas le droit, continue-t-elle. Je l’écoute, je la respecte. Mais pourtant, si je mets cela en parallèle, si je les place sur un même plan, c’est que le plan du dégoût est devenu si vaste, une fois les apparences traversées — les apparences tellement claires — ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
paupière tombante
Voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile. Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux. Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire. Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé. La honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. Voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. Honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. Le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. la honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend.|couper{180}