Sans doute que tout ce que j’écris n’inspire qu’une sorte de malaise. Ce n’est pas étonnant étant donné que l’écriture est une sorte de rustine que je tente de placer sur ce malaise pour le colmater. Je pourrais conserver ces écrits dans un tiroir. Faire preuve d’un peu de pudeur, mais ce serait insatisfaisant sur le plan intellectuel. Si je publie ce que j’écris c’est d’une part pour l’évacuer mais ce n’est pas pour me venger de quoi que ce soit, je ne le crois pas ou plutôt je ne le crois plus. Si je publie ce que j’écris c’est pour montrer une sorte de chemin que je n’ai cessé d’emprunter depuis l’âge de trente ans. Ce n’est pas de la littérature à proprement parler. Ce n’est pas non plus de la philosophie, de la psychologie, ce n’est pas non plus de l’art. C’est une sorte d’objet indéfinissable ( en tout cas pour moi ). De mon côté c’est ainsi mais là aussi je sais que je manque de moyens pour en juger et le fait de publier ces textes est une manière aussi de dire c’est à vous à toi collectivité de le dire, tout en prenant bien soin de mon côté de ne pas vraiment vouloir entendre ce que l’on pourra en dire. Ce n’est pas que ça ne m’intéresserait pas, mais le risque que ça fige cet ensemble dans une définition me demanderait encore un surcout d’énergie pour ne pas en tenir compte. Il faut donner la part aux fauves parce que les fauves sont de ce monde comme je suis probablement de ce monde. Leur jugement quel qu’il soit est leur nourriture. Ils sont heureux peut-être ainsi parce qu’ils ne connaissent pas autre chose. Ils sont dans l’hypnose produite par la recherche de ce plaisir pré déterminé. Ce plaisir là je l’ai traversé en son temps mais l’hyper vigilance qui me frappe depuis toujours m’interdit de m’y reposer trop longtemps. Il me faut aussi lutter contre un jugement interne que je ne cesse d’entretenir envers ce que je produis et qu’il m’arrive de qualifier de déballage exhibitionniste Ce que Winnicott nomme la crainte du faux self : La peur d’être trop, mal placé, déplacé — la peur que le vrai soit lu comme impudique, que le nu soit lu comme obscène. Mais je ne peux rien faire pour m’opposer avec vigueur ou bon droit à cette éventualité que tout ce que j’écris soit ainsi perçue. Cette blessure anticipée est déjà cautérisée avant qu’elle n’advienne tant l’immersion dans mon propre ridicule, ma version risible a été traversée tant et tant de fois comme une jungle qu’on explore. Certains pourraient et moi-même parfois aussi penser qu’il s’agit d’un écrit très présomptueux, voire même méprisant envers le lecteur. C’est aussi un risque à prendre que celui de montrer dans quelle prison de jugement nous sommes reclus à chaque instant. Et si cela peut permettre à l’un ou l’autre d’en prendre un peu plus conscience, alors ce texte n’aura pas été si totalement inutile que je le pense par réflexe.


july-11-2025

Perhaps everything I write only provokes a kind of discomfort. That would make sense, since writing is a kind of patch I try to place over that discomfort to seal it. I could keep these texts in a drawer. Show a little modesty. But that would be unsatisfying, intellectually. When I publish what I write, it’s partly to evacuate it, but it’s not to take revenge for anything — at least I don’t believe that anymore. I publish what I write to show a sort of path I’ve kept to since I was thirty. It isn’t really literature. It isn’t philosophy, or psychology, or even art. It’s a kind of object I can’t define — at least not from where I stand. I know I lack the tools to judge it, and publishing is also a way of saying : here, it’s for you, for others, for the collective to name it — while also taking care not to really want to hear what might be said. It’s not that I wouldn’t be interested, but the risk of having the whole thing pinned down, turned into a definition, would demand another layer of energy just to resist or ignore it. You have to feed the beasts, because the beasts are of this world, as I probably am too. Their judgment, whatever it may be, is their nourishment. They may be happy that way, because they know no other. They’re hypnotized by the pursuit of a certain kind of predetermined pleasure. I’ve passed through that kind of pleasure too, but the hypervigilance I’ve always carried won’t let me rest there for long. I also have to fight with an internal judgment I constantly direct at what I produce, which I sometimes call an exhibitionist outpouring. What Winnicott called the fear of the false self : the fear of being too much, poorly placed, somehow misaligned — the fear that what is true will be read as indecent, that the bare will be read as obscene. And there’s nothing I can really do to stop this eventuality, that everything I write might be seen that way. That wound is already cauterized before it happens. I’ve passed through my own ridiculousness, my risible version, so many times — like a jungle crossed over and over. Some may think — and at times I do too — that this is a presumptuous piece of writing, perhaps even contemptuous of the reader. That, too, is a risk : to reveal the prison of judgment in which we are held, moment to moment. And if this helps even one person to become more aware of it, then maybe this text will not have been entirely useless, even if I tend to think so by reflex.