4 juillet 2025

ça commence comme ça en cherchant comment écrire en inclusif ça commence par iels et là je ne sais pas ce qui se passe mais ça sort d’un seul coup

on le garde on le garde pas la belle affaire on s’en fout

Iels écrivent, toustes. Celleux se congratulent, s’applaudissent, se lappent, se bijent, se clap clap clap, avec des “oh !”, des “ah !”, des “comme j’aime” et des “encore… j’en peux plus… continue.”

Et bon… ça rappelait quelque chose — mais quoi ? Si ça m’revient… la cour de récré, jadis, il y a longtemps, des lustres, belle lurette.

Les billes, les calots, les bonbecs.

Les escaliers, les jupes, les socquettes. les couetttes.

Les dents qu’on montre quand on sourit — incroyable, comme ça sourit, avec des dents en avant, des dents pointues. vampires, hémoglobine, les dents de l’amer à flots.

Des dents à déchirer la viande. À ronger l’os. À mordre tout c’qui bouge.

Des dents de cour de récré, pas pour sourire, mais pour survivre.

Des rictus de gosse carnivore. Des crocs sous les bonbecs. Et personne qui voyait rien.

Les aime pas. Les déteste. Les vomis. Les piétine.

Ces pourris, en rang par deux. Donnez-vous donc la main. Avancez.

Vers le perron, vers la classe, vers le stade, vers la piscine, vers la cantine, vers l’entreprise, vers la guerre, vers le cimetière, vers l’oubli.

Donnez-vous la main, bon dieu. Serrez-la fort. Qu’on n’en perde pas un seul.

Tout compte, tout comptera, c’est le contrat.

chez les verrats, les porcs, les truies, d’Ivry à Porentruy.

TVA et recettes fiscales obligent mon petit, cires bien tes pompes, montre papatte blanche, remonte ta braguette, peigne-toi bordel, peigne-toi.

et cours, cours, servir le petit café bien chaud à monsieur le directeur, madame la secrétaire de direction, monsieur le curé, monsieur le maire, monsieur l’abbé.

et surtout, surtout, surtout —

ne dis pas bonjour à cette pouffiasse de madame la pute, madame la gourde, madame l’agent, madame l’institutrice, madame la bibliothécaire, madame l’agent, madame qui joue à la dame, madame bouffe la reine, échec et mat.

La colère a du bon a dit machin, c’est bien vrai ça, opine machine, oui pine la pine la donc. Encore une petite pinacollada je vous prie. Et l’autre bouche en cul de poule qui dit oui oui oui encore s’il vous plaît.

iels écrivent se gargarisent s’enchantent tous ça pour se dire quoi ?

mais rien, rien, rien, et encore rien — sauf qu’ils ne sont pas seuls. les conconnes.

ce n’est pas politiquement correct me dit la charcutière en me montrant la tranche avec la tranche de son couteau plus fine. et j’ajoute que le politiquement incorrect est le politiquement correct de demain, avec trois saucisses de Strasbourg si c’était un effet de vot’ bonté.

ce que je veux dire c’est qu’à force de chauffer de chauffer de chauffer l’eau bout et que quand ça bout il faut y aller il faut mettre les pâtes les mains dans le camboui.

alors bon je les regarde je les lis très attentivement entre les lignes et qu’est-ce que je trouve ?

encore plus de vide donc ils mettent du vide en paravent du vide c’est ça la mode.

vous savez, non pas de croissant aujourd’hui je n’ai plus la queue d’un désolé. excusez je vous en prie à genoux pardonnez-moi d’être à sec si sec

C’est vert, vous pouvez y aller. si vous avez la ferraille le menue monnaie c’est mieux on m’a cloqué cette machine c’est le progrès disent-ils mais c’est pire donnez-moi l’apoint je vous prie s’il vous plait pitié ça m’évite d’ouvrir le tiroir caisse.

et pourquoi tu dis bonjour et pourquoi tu ajoutes toujours

bonjour bonne journée

tu te le demandes ce matin.

pour une fois tu dis je veux une baguette pas trop cuite tu paies et tu te tires.

ni bonjour ni merde ni veux-tu baiser mon cul.

ET VOUS FAITES QUOI DANS LA VIE ? -- j’me d’mande.

et puis qu’est-ce que ça peut bien vous faire à la fin ? c’est pas comme si ça vous intéressait vraiment.

mais mais mais —

si tu veux pas entendre ce genre de réponse ne pose pas de question à la con.


Translated in the spirit of Allen Ginsberg and Kathy Acker : part beat monologue, part punk incantation.

It starts like this— trying to write inclusive, it starts with "iels," and then I don’t know what happens, but it comes out in one rush, all at once.

Do we keep it ? Do we trash it ? Big deal. We don’t care.

They write, all of them. Themz. They clap each other’s backs, tongue each other’s cheeks, bite love into the neck, clap clap clap, with “oh !” with “ah !” with “I love this !” with “don’t stop—I can’t—keep going—yes—go.”

And then— it reminded me of something— but what ? If it comes back— the schoolyard, a long time ago, ages, forever and ever ago.

Marbles. Slings. Candies.

Stairs, skirts, socks, ponytails.

Teeth we show when we smile— unbelievable, how we smiled, with teeth out front, pointed teeth. Vampires. Hemoglobin. The bitter bite of saltwater, flowing.

Teeth to tear meat. To gnaw bone. To bite anything that moves.

Schoolyard teeth, not for smiling, for surviving.

Snarling kid grins. Fangs behind the sweet. And no one ever saw a thing.

I don’t love them. I hate them. I puke them up. I trample them.

Those bastards, in rows of two. Hold hands now. Move forward.

To the front steps, to the classroom, to the field, to the pool, to the cafeteria, to the office, to the war, to the graveyard, to forgetfulness.

Hold hands, goddammit. Grip tight. Don’t lose a single one.

Everything counts. Everything will count. That’s the deal.

With the swine, the hogs, the sows, from Ivry to Porentruy.

VAT and fiscal blessings, my dear. Shine your shoes, show your clean paws, zip your fly, comb your fucking hair, comb it.

And run, run, serve the steaming hot coffee to Mr. Director, Ms. Executive Assistant, Father Priest, Mr. Mayor, Monsieur l’Abbé.

And above all, above all, above all—

don’t say hello to that bitch Madame Slut, Madame Fool, Madame Officer, Madame Teacher, Madame Librarian, Madame again, Madame playing the lady, Madame gobbles the queen— checkmate.

Anger’s good, said so-and-so. Damn right, nodded what’s-her-face. Yeah, fuck yeah, one more piña colada, please. And that other one, fish-lipped, whispers “yes, yes, yes, please, more.”

They write, they gurgle it up, they delight themselves— all to say what ?

Nothing, nothing, nothing, and more nothing.

Except they’re not alone. The dumbcunts.

“This ain’t politically correct,” says the butcher woman, showing me the cut, a sliver thinner than truth. And I say, politically incorrect is tomorrow’s righteous cause, with three Strasbourg sausages if you’d be so kind.

What I mean is— heat it, heat it, heat it— till it boils. When it boils, drop the pasta, get your hands greasy.

So I read them. I read between the lines. And what do I find ?

More void. So they pack their voids in front of the void. That’s fashion.

“No croissants today.” “I’m out, sorry.” “Green light, go ahead.” “Got coins ? Better. Saves me the register.”

And why do you say hello ? Why always add, hello, have a nice day ?

You ask yourself that today.

Just this once, you say, I want a baguette, not too crusty. You pay. You leave.

No hello. No fuck you. No want to lick my ass ?

WHAT DO YOU DO FOR A LIVING ?—I wonder.

And then— what the hell does it matter to you ? It’s not like you care.

But, but, but—

If you don’t want to hear that kind of answer, don’t ask dumb fucking questions.

Illustration Georges Grosz " Piliers de la société" 1926/Illustration : George Grosz, Pillars of Society, 1926.

Carnets | juillet 2025

30 juillet 2025

J’avais dit "table rase", pas pour rien. SPIP et MySQL m’ont répondu en chœur. Tout ce que j’avais construit sur mon site local a été mis par terre par l’importation de ma base de données distante vers mon PhpMyAdmin local. Au début, j’ai tempêté. Des heures et des heures de boulot qui s’envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident était plutôt une chance, que ça allait m’aider. SPIP a connu pas mal de mises à jour, et c’est là qu’il faut être vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre à jour la distribution. Il faut aussi aller voir du côté de la base de données et vérifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis à jour peuvent également s’accumuler et créer des distorsions. C’est à peu près tout cela qui m’est tombé sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou négligence : le débat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilité (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de mémoire et d’attention. La gravité du problème rencontré n’est pas immense. J’avais bien sûr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand même, devoir tout refaire ne m’amuse pas. Cela m’oblige donc à repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os près os — mais sans doute avec un peu plus d’expérience, ce qui se paie d’échecs, comme il se doit. En attendant, je continue à écrire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j’ai déjà quelques trouvailles dans la boîte — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d’une imprimerie de poche pour créer des livres numériques. Reste à savoir ce que j’y mets, dans ces livres. Ce n’est pas l’embarras du choix qui manque.|couper{180}

Technologies et Postmodernité

Carnets | juillet 2025

29 juillet 2025

Contrôler l'accès à la nourriture, c'est contrôler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organisées, aux embargos, aux politiques agricoles. En même temps qu'à la télévision on aperçoit ces parachutages de denrées sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du réalisateur Trần Anh Hùng. Il s’est produit quelque chose d’étrange à cet instant. Une attirance et une répulsion dans un même mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgré la qualité visuelle et sonore — surtout sonore — du film. Ça m’est resté en travers de la gorge. Soudain, cette surreprésentation de la bouffe m’est apparue profondément obscène. Mais pas plus, au fond, que ce qu’on nous fait avaler sur papier glacé, dans les affiches publicitaires, sur les réseaux sociaux. L’importance que la nourriture a prise ces dernières années est considérable. Peut-être que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les réseaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait là déjà quelque chose d’abject, mais j’y accordais sans doute moins d’importance. Peut-être même en ai-je profité, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En écoutant le frémissement du bouillon clair, les rissolements des foies, les rôtis en train de suer, j’avais plutôt envie de dégueuler qu’autre chose. J’avais déjà vu ce film en 2023, je crois, et je n’avais pas éprouvé la nausée à un tel point. Cette célébration m’avait même laissé admiratif, et en même temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent à l’enfance, aux grandes tablées, aux aurores embaumées par l’odeur de brûlure de pattes de volaille, par l’oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l’on se passe comme un relais dans les familles françaises de classe moyenne depuis des générations. Ce goût de la bouffe, de la “bonne chair”, je le transporte encore dans mes gènes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, à tant de reprises, de m’en séparer. De traverser des périodes d’austérité, peut-être dans l’unique but de m’en débarrasser. Mais ça revient. Par le nez, par les papilles. C’est plus fort que moi, comme on dit. Un réflexe pavlovien de chien qui revient vers le maître, celui qui, à la fois, le bat et le caresse. Une voix, tout au fond de moi, voudrait me ramener à je ne sais quelle “raison”. Tu confonds tout, me dit-elle. Tu ne peux pas mettre sur un même plan les exactions, les guerres, l'effroi des images que ces événements charrient, avec l'atmosphère tellement chaleureuse d'un film célébrant la gastronomie française. Tu ne peux pas, tu n’en as pas le droit, continue-t-elle. Je l’écoute, je la respecte. Mais pourtant, si je mets cela en parallèle, si je les place sur un même plan, c’est que le plan du dégoût est devenu si vaste, une fois les apparences traversées — les apparences tellement claires — ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas.|couper{180}

hors-lieu

Carnets | juillet 2025

paupière tombante

Voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile. Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux. Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire. Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé. La honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. Voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. Honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. Le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. la honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend.|couper{180}

recto_verso