Lettre à une amie (FR)
Chère amie,
Je t’écris pour te faire part d’un petit travail d’écriture auquel je me suis livré ces derniers jours. Il est né d’un mot ancien — chemin — que j’ai voulu suivre, étymologiquement, poétiquement, comme on suit une piste. Puis ce mot a bifurqué : il m’a mené vers gambe, vers gamin.
Ces trois textes courts sont venus d’eux-mêmes, comme une séquence, comme un fil.
Je les ai écrits en français — mais très vite, j’ai senti que quelque chose pouvait s’ouvrir dans leur traduction : non pas une traduction littérale, mais une forme d’écho, de réponse en creux.
Alors j’ai pensé à toi, à ta manière d’écrire, à ton anglais si sensuel et sobre à la fois. Je t’ai imaginée recevant ces textes et y répondant dans ta langue, dans ton rythme. Voilà tout.
Tu es libre d’écrire ce que tu veux, comme tu veux.
Tendrement, P.
NB : J’ai essayé maladroitement de m’y mettre moi-même, mais la difficulté vient des étymologies parfois fort différentes entre nos deux langues, nos deux manières de penser. Peut-être cela t’indiquera-t-il mieux la béance à enjamber…
Letter to a friend (EN)
Dear friend,
I’m writing to share a little writing experiment I’ve been working on. It started with an old word — chemin — and I followed it, etymologically, poetically, like a trail. Then the word forked : it led me to gambe, and then to gamin.
These three short texts came on their own, like a sequence, like a thread.
I wrote them in French — but soon I felt something could open up through translation. Not literal translation, but a kind of echo, a response in reverse.
That’s when I thought of you, your way of writing, your English that’s both sensual and spare. I imagined you reading these pieces and responding in your own language, in your own rhythm. That’s all.
Write whatever you feel like.
Warmly, P.
PS : I clumsily tried myself at it — but the difficulty lies, perhaps, in how different our two languages are, how they carry thought. Maybe this will show you more clearly the gap to be crossed.
CAMINUS
Caminus est le passage, la voie que le feu trace, ou celle que l’on suit vers la maison, vers la lumière.
Le feu devient métaphore du chemin.
La parole aussi cherche une voie plus simple. Elle impose à la langue de chercher un son qui se plie, glisse, se palatise.
Le latin fixe le mot dans la pierre. Le roman le libère dans la bouche. Le français en fait un souffle intime.
GAMBE
Gambe vient de la courbure. Ce n’est plus la flamme, c’est le corps. Ce n’est plus la trace du feu, c’est la flexion du vivant.
La jambe marche, la langue suit. Les sons aussi veulent des articulations simples.
La gambe, c’est déjà une danse. C’est l’organe du déplacement, le rythme battu du mot.
GAMIN
Puis vient le gamin. Celui qui n’a pas de chemin tout tracé. Celui qui va.
Il marche en traînant, trotte sans passé, bricole son lexique dans la rue.
Il ne dit pas chez moi, il dit où on va ?. Il vit dans le bord du mot.
Hearth
(caminus → cheminée → hearth / fire)
Le foyer, lieu du feu, mais aussi lieu du mot : ce qu’on rallume pour se souvenir, ce qu’on entretient pour vivre.
The hearth was never just a place to burn wood. It was a place to burn silence. A place where words, too, caught fire. A mouth in the wall. A wound, a witness.
Limb
(gambe → leg / limb / gait)
Le membre, la marche, la trace du corps qui avance : entre pas et phrase, il y a un balancement, une articulation.
The limb bends before the step. Movement is memory. The body writes before the pen. Rhythm before sentence. The knee knows what the mouth forgets.
Waif
(gamin → waif / urchin / ragamuffin)
L’enfant sans lieu, sans repère fixe, sans voix assignée — et pourtant porteur d’une langue vivante, dérivée, vivace.
The waif has no address. Just corners, thresholds, puddles and echo. Language clings to him like wet cloth. No house, no name — but all the grammar of survival.
Réponse de mon amie (FR)
Cher P.,
J’ai lu tes textes comme on suit un sentier dans le brouillard. Chaque mot levait un peu la brume. Ce n’était pas une réponse que j’ai voulue formuler, plutôt un accompagnement, une manière de marcher à côté. Tes mots appellent les miens, mais différemment : en se dédoublant, en changeant d’eau, en changeant de langue.
Je t’envoie trois petits fragments, comme des pas en écho. Ils sont nés des tiens.
Avec chaleur, A.
My friend’s reply (EN)
Dear P.,
I read your texts like walking a path in the fog. Each word cleared a little of the mist. What I’ve written isn’t a reply, exactly — more a way of walking alongside. Your words called mine, but they came out altered : in another water, in another tongue.
So I’m sending you three short fragments, like steps in return. They were born from yours.
Warmly, A.
Caminus
fragment on fire and etymology
The Romans said caminus — furnace, hearth, the place where fire makes things soft.
I say chemin.
The fire doesn’t stay in one place. It leaves a trace. That’s the path. That’s the mouth learning to choose ease over fracture.
The stone says keep still. The tongue says let me go.
Gambe
fragment on limbs and names
You don’t walk with a word, but you carry it in your bones.
Gambe — a leg, a line, a curve.
Greek said kampe, meaning bend, meaning grief at the back of the knee.
The leg becomes a note. The note becomes a line. The line forgets where it started.
Walking is thinking. Thinking is folding the body toward a direction it doesn’t yet trust.
Gamin
fragment on boys, streets, and speech
The boy with no garden.
The boy who walks like language — always half-erased, with dust on his vowels.
They called him gamin, from gambin, from gambe.
His name was an accident of legs.
He walked. That was all.
He walked with his mouth open, and the street wrote itself into his breath.
Illustration / Visual
En souvenir de ces vacances que nous avions passées à Galway, 1982 — P. In memory of that summer we spent in Galway, 1982 — P.