Je me suis replongé dans l’ouverture de Sous le soleil de Satan en lien avec mes recherches sur mon instituteur d’aïeul. Par indices internes, l’action se situe vers 1880-1885 : la mention d’un « officier de santé » impose un repère avant 1892 (suppression de ce grade), Le Gaulois et la Revue des Deux Mondes campent la presse de notables de la IIIᵉ République, Raspail, Blanqui et Lamennais restent alors des références très présentes, et l’ensemble, avec le député d’arrondissement et le cadre provincial, confirme ce créneau. L’incipit cite Paul-Jean Toulet pour installer une lumière de fin de jour, précise et mélancolique, où la « vie distillée » peut tourner à l’amer : Bernanos reprend cette atmosphère pour annoncer que son sujet sera d’abord une épreuve intérieure plutôt qu’une élégance de style. La phrase sur Blanqui et Lamennais s’éclaire si l’on rappelle qu’« Enregistrement » désigne l’administration fiscale qui entérine et taxe les actes : l’élan révolutionnaire finit en routines de guichet, tandis que l’héritage de Lamennais peuple des sacristies plus accommodantes que ferventes. Deux portraits posent le décor : Gallet, praticien formé par les manuels de Raspail devenu député prudent qui se croit subversif en s’abstenant, et, en face, le marquis de Cadignan, noble provincial nourri de chroniques mondaines, rêvant de chasse au vol, ratant ses faucons et se rabattant sur des passe-temps discrets. Le « salon de reps vert » dit assez la bienséance du lieu (tissu côtelé, solide, couleur respectable), avec ce vert ambigu qui, dans l’imaginaire chrétien, peut frôler l’envie et la bile : un confort sans surprise où le mal affleure sous l’ordinaire. En somme, ce début montre moins des méchants que des habitudes : convictions devenues carrières, pratiques installées, monde réglé où la vraie question est spirituelle. À côté, la comparaison proposée par Albert Béguin entre Roger Bésus — notamment Cet homme qui vous aimait — et Bernanos a du sens : même centre de gravité autour d’un prêtre, même mise à nu des consciences dans une province ; mais la manière diffère, Bernanos cherchant la vision et l’embrasement intérieur quand Bésus reste plus près du sol, avance par scènes et dialogues, resserre la psychologie et le milieu. Chez Bernanos, l’intrigue sert le jugement intérieur ; chez Bésus, elle cartographie un monde précis. Les deux visent le salut et la faute à hauteur d’hommes, chacun selon sa pente.