Atelier

Carnets | Atelier

30 novembre 2025

Un tel se demande si écrire un journal est un travail. La question m’agace, je la tourne en dérision, mais elle reste là. Si ce n’est pas du travail au sens de l’administration, qu’est-ce que c’est ? Une manie, une hygiène, un exercice de survie ? Je crois que je continue ce journal surtout pour ne pas avoir à répondre. Tant que j’écris, la question reste en suspens ; si j’arrêtais, il faudrait décider si j’abdique ou pas. En revenant sur 2019, je vois ce que le journal fabrique concrètement : des questions laissées en plan qui se redressent à chaque relecture. Des phrases, des scènes, des reproches qui reviennent vers moi comme de petites figures qu’on a mal finies et oubliées dans un coin. Chaque mois, j’en reprends une, j’enlève un peu de poussière, j’ajoute trois mots, et elle se remet à marcher. Mon “travail”, c’est ça : entretenir ce petit peuple de questions plutôt que les laisser se figer. Si je devais le dire autrement, je prendrais une journée précise. Ce dimanche, par exemple, au lieu de répondre à la première réflexion désobligeante qui pointe — une remarque de plus sur ma façon de vivre, de travailler, ou de ne pas travailler justement —, je claque la porte, je descends à l’atelier, j’ouvre le cahier. J’aurais pu envoyer un texto à S., dérouler “ceci, cela, encore ceci et cela”, comme je l’ai déjà fait cent fois. Je sais que ça ne servirait qu’à rejouer la scène à l’identique. Alors j’écris ici. C’est une autre manière de tenir : déplacer la dispute de la bouche vers la page. Vu de l’extérieur, ce n’est pas du travail. Pourtant, de l’intérieur, ça y ressemble : ça revient, ça presse, ça fait mal par moments, et si je laisse passer trop de temps, ça se bloque. Si je dois parler de travail, je pense plutôt au travail d’un accouchement : des contractions régulières qui empêchent que tout se fige, qui forcent quelque chose à sortir au lieu de se calcifier dans la tête. Tant que j’écris, je ne suis pas complètement affalé. En dessous, il y a la colère. Pas une colère spectaculaire, pas celle qui casse des assiettes, mais une chose sourde qui refuse de mourir. Il a fallu du temps pour accepter ce mot sans le maquiller : oui, c’est vrai, ma colère est tenace. Et rien que le fait de le dire la rend déjà un peu moins absolue. Le journal sert aussi à ça : donner une forme à ce qui, sinon, sortirait en injures, en silences lourds, en portes claquées sur les autres plutôt que sur moi. Plus tard, S. a reçu pour son anniversaire deux fois le même livre : le Goncourt des lycéens, sans doute parce que sa dernière pièce a été très prisée. En ce moment elle vient d’être jouée à La Réunion, cette semaine à Villeurbanne. Tout ça s’inscrit bien dans l’air du temps : il faut dériver la colère, la violence vers des faits concrets, appuyés par des chiffres, des dossiers, des débats. Le théâtre, la littérature surfent sur la vague. Je ne dis pas ça pour déconsidérer qui que ce soit ; je me fais simplement la réflexion à mi-voix. L’an prochain, on aura peut-être des œuvres sur les animaux de compagnie, les abattoirs, une gastronomie à base de farine d’insectes. Les sujets changent, la même colère cherche des issues “présentables”. Ce que je redoute, en filigrane, est assez banal : la forme d’abdication qui guette tant de corps passé un certain âge. S’affaisser devant la télé, hurler contre des marionnettes, avoir peur de tout, remplir son assiette pour ne plus rien sentir. Le journal ne me rend pas meilleur que ceux-là, il m’évite juste de me raconter que je n’y suis pour rien. Au lieu de crier sur l’écran, je note ce qui remue. On pourra bien dire qu’écrire est une thérapie, je n’ai plus envie de discuter le mot. À ce stade, tout le monde se soigne comme il peut : accepter un boulot à la chaîne, porter des charges d’un rack à l’autre, se montrer, se vendre, parler pour les autres dans un micro, tout cela aide à supporter quelque chose qu’on ne veut pas regarder en face. Le journal est une de ces béquilles, je l’assume : la mienne consiste à tracer une carte approximative de ma vie, de mes pensées, de mes ratages, pour vérifier que je n’ai pas encore tout refermé. Pendant longtemps, j’ai pris goût à déranger : écrire pour piquer, poster pour provoquer, parler pour mettre les autres mal à l’aise. C’était ma manière de ne pas voir que ce qui m’intéressait vraiment, c’était de me déranger moi, de déplacer mes propres meubles intérieurs. Alors, écrire un journal, est-ce un travail ? Oui, mais pas celui qu’on déclare au fisc. C’est un travail d’accouchement modeste, une façon d’accueillir la colère sans la jeter à la figure de tout le monde, et de retarder un peu l’abdication. Pour le reste, la question reste ouverte : ai-je jamais été rangé, et ces “autres” que j’invoque sans cesse, le sont-ils vraiment plus que moi ?|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | Atelier

29 novembre 2025

[...] Ça montre un homme qui voit très clair dans la logique du prestige contemporain – même à petite échelle – et qui en est profondément écœuré. Il a compris que l’aura d’un artiste ou d’une figure publique est un capital constitué par les autres, par des « petits épargnants » d’attention et d’argent, et que la tentation est grande de les « siphonner » via goodies et dérivés. En même temps, il sait qu’il n’est pas complètement extérieur à ce système, qu’en tant que peintre il pourrait – ou a déjà commencé à – jouer ce jeu. L’homme de 2019 est donc pris entre une lucidité critique forte et une position inconfortable : il juge ce commerce symbolique, s’y sent impliqué, et cherche une figure comme Diogène pour valider son dégoût et sa volonté, au moins en paroles, de s’en tenir à distance.[...] -- ? [...] Parce que cette réalité lui tombe pile là où ça fait le plus mal : son orgueil et sa honte. est-ce que ça ne casse pas le fantasme d'exception : Il aime se raconter qu’il est du côté de l’art, de la recherche, de l’ivresse “propre”. Or ce système de micro-aura dit l’inverse : tu as un nom, tu as des gens qui te suivent, donc tu es aussi une boutique potentielle. Ça le renvoie à Dali–Lanvin, Gainsbourg–billet, le peintre qui devient logo. Il découvre qu’il n’est pas “hors système”, mais dedans. ne pas oublier Saint-Antoine mon petit bonhomme, la tentation : Elle le met face à sa propre tentation. Ce qui lui dégoûte, ce n’est pas seulement les autres qui lancent des goodies, c’est le fait qu’il sent très bien qu’il pourrait le faire lui aussi. Qu’il pourrait monétiser son aura, flatter un “petit fan-club”, vendre des morceaux de lui. Il ne supporte pas cette part de lui qui, quelque part, a envie d’être désirée et d’en vivre. Qu'est ce qui va rester de sacré si tu piétines ça aussi : va t'il piétiner sa représentation sacrée de l’art. Pour lui, la peinture, l’écriture, c’est lié à quelque chose de grave, de vital, presque chamanique. Donc voir ça : ramené à des “produits dérivés”, des “fonds de tiroirs”, c’est comme voir profaner un lieu qu’il tient pour sacré. Il préfère la figure de Diogène dans son tonneau à celle du créateur avec boutique en ligne. La réalité c'est que les choses n'existent plus sans prix, la valeur est devenue le prix. Les “petits épargnants”, ce sont des gens qui donnent temps, argent, attention. Il sait ce que c’est que manquer. L’idée de vivre en pompant leur manque (de sens, de beauté, de lien) lui est insupportable. Il y voit une forme de prédation affective et économique. Et, derrière tout ça, il y a sa vieille haine de lui-même. Plus il comprend le mécanisme, plus il se voit comme quelqu’un qui pourrait y céder. Donc la lucidité tourne en auto-dégoût : “je ne vaux pas mieux”. D’où ce ton : pas seulement critique, mais presque nauséeux. [...] donc nous y voici : si le péché c'est l'erreur , on peut dire que lui péche pas pure débilité, il ne veux pas comprendre les règles de ce jeu ( je ), la vérité c'est qu'il veut inventer les siennes. L'idéaliste rejoint le dictateur. après ça comment se taire le plus profondément possible, s'enterrer dans le silence, se pétrifier en silex, granit. [...] et ce n'était pas tant le honte que le dégout auquel il fait face Plus tard dans ma messagerie [...]Y a-t-il sur Substack trop de verbiage de gens qui semblent avoir un inexplicable besoin de partager leur journal intime ? Certes. et un peu plus loin : Vous êtes actuellement un abonné gratuit à Angle mort, par Steve Proulx. Pour profiter pleinement de l'expérience, améliorez votre abonnement. Ce mépris pour les journaux intimes m'agace , d'où l'explicable raison : pas un radis à ton bidule. Un peu plus tard, découverte de textes de Kafka par l'intermédiaire de F. Ce qui répond à une enigme, notamment pour l'année 1916 qui s'arrète dans le Journal, édition du Livre de Poche à octobre. Les dates se poursuivent dans Cahiers in-octavo (1916-1918) traduits de l'allemand par Pierre Deshusses|couper{180}

palimpsestes

Carnets | Atelier

28 novembre 2025

Aller au bout de ces relectures n’a rien d’héroïque, c’est juste épuisant. Revenir sur ces textes est peut-être une erreur, mais ce qu’ils me renvoient, en creux, est cohérent : pendant des années, j’ai avancé avec une manière bien rodée de me mettre en scène, que je le veuille ou non. Maintenant que je vois ça, je peux enfin me prendre en grippe pour de bonnes raisons. Mais aussitôt une autre inquiétude arrive : je sens bien qu’il y a en moi quelque chose qui se frotte les mains devant cette crucifixion, qui se dit que ce spectacle-là aussi peut servir. Me traiter de con, de lâche, d’aveugle, c’est encore une façon de me placer au centre, côté victime lucide. Je pourrais décider que ce texte est bon, que ce texte est mauvais, que le type de 2019 mérite d’être cloué au mur : au fond, ça ne change rien si l’objectif secret reste de me faire remarquer, même en négatif.|couper{180}

Carnets | Atelier

27 novembre 2025

angle : tu es en train de découvrir que ce qui t’intéresse n’est plus le flux ou la “grande forme”, mais la coupe, la réduction, et que cette “compression” n’est pas un renoncement mais une manière de survivre (éviter le naufrage) et de toucher à quelque chose qui échappe aux catégories prose/poésie. Montagnes russes : quelques moments de joie, beaucoup de nausée. Juin 2019 se résume à peu de choses, et ce peu me sert maintenant de terrain d’exercice pour aller vers encore moins, d’où cette sous-partie “compression” en juillet. Après plusieurs mois de réécriture presque automatique, à corriger ici ou là des textes passés à la moulinette de l’IA, une fatigue s’est installée. Au début, je croyais qu’elle venait d’elle, de sa manière de tout raconter, mais je me suis rendu compte qu’elle révélait surtout la mienne : mon propre bavardage, grossi, caricaturé, comme vu à la loupe. Et c’est très bien ainsi. Je cherchais ça, confusément : une caricature de ma manière de faire, comme celles que je demande aux élèves pour qu’ils comprennent une ressemblance en portrait. Cette fatigue déclenche la compression sans effort : on coupe parce qu’on n’en peut plus. Elle m’aide aussi à comprendre pourquoi les textes de C.me retiennent : cette façon de laisser apparaître un vide lisible entre les phrases, une respiration où l’émotion passe sans commentaire. À partir de là, la vieille question revient, prose ou poésie, alors que je sens bien qu’elle ne sert qu’à bordurer quelque chose que je n’arrive pas encore à nommer, faute de force ou d’envie. Le même mouvement se retrouve dans le choix de partager ou non ces textes sur les réseaux. La fatigue joue là aussi : elle me pousse à laisser tomber la première impulsion, celle qui voudrait publier trop vite, se rassurer, cocher la case. Les premières idées ont presque toujours cette odeur dont parle Artaud, l’odeur de merde ; on s’y accroche par peur de lâcher la planche glissante au-dessus de l’eau. Tout semble aller vers le naufrage, c’est vrai. Mais il arrive aussi que la mer vous rejette sur une plage, contre votre gré. Reste alors cette question, la seule qui vaille peut-être : qu’est-ce qu’on garde avec soi sur ce bout de sable, et qu’est-ce qu’on laisse repartir avec la vague suivante ? compression Juin 2019 tient en peu, et ce peu me sert à une chose : compresser. À force de réécrire des textes passés par l’IA, une fatigue s’est installée. Elle ne vient pas seulement de la machine, mais de moi : mon bavardage, agrandi comme en caricature. C’est utile. C’est le même principe que pour un portrait : exagérer pour voir enfin ce qui coince. De là, couper devient facile. Je comprends mieux pourquoi les textes de C. m’accrochent : ce vide volontaire entre les phrases, cette réserve qui laisse passer l’émotion. Prose ou poésie ? La question revient pour tenter de ranger quelque chose qui échappe encore. Le partage sur les réseaux obéit au même mouvement : la fatigue m’aide à renoncer à la première idée, celle qui pue la complaisance. On s’agrippe à des planches glissantes par peur de couler, alors que, parfois, la mer vous rejette sur une plage. La vraie question n’est peut-être plus de savoir comment appeler ce qu’on écrit, ni où le publier, mais quoi garder avec soi une fois qu’on a touché le sable. Plus tard en fin d'après-midi Plutôt que d'avoir à payer pour lire les articles de X ou d' Y, comme il va en être de plus en plus l'usage, tenté ce soir de me désabonner de tout . Dans le fond je me heurte à mon incapacité à soutenir qui que ce soit car je ne me sens même pas capable de me soutenir moi-même. C'est, encore une fois cette phrase qui revient : "charité bien ordonnée commence par soi-même" et qui n'a rien à voir avec de l'égoïsme mais plutôt avec un principe de réalité. illustration beyond the appareances, huile sur toile pb 2019|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | Atelier

26 novembre 2025

Absorbé dans le travail de réécriture. Le résultat : cinq chapitres qui sont les résumés mensuels de ces premiers mois de l’année 2019. Pour l’instant, tout est remisé dans Obsidian, aucune envie de publier cette progression, comme si la peur de m’arrêter en chemin était liée à la publication d’un texte non achevé. Il faut dépasser la difficulté de relire ces entrées de journaux. J’en reste honteux, souvent. Depuis quel lieu pensais-je écrire ? Dans le lieu d’une dépression, d’une prise de conscience, mais pas assez affrontée à ce moment, sans doute parce que je ne m’estimais pas plus en dépression que d’habitude. Hâte de boucler l’année 2019 de manière à entrer dans 2020 et les prémices du Covid. Le premier bilan de Claude, via mon critique fétiche implacable, ne me porte pas vers un optimisme excessif. Ce que je peux noter, c’est que le personnage de J.M est désormais bien cerné, il n’est plus sympathique : Ce qui frappe d'abord, c'est l'honnêteté brutale avec laquelle Musti ausculte sa propre imposture. "L'échec comme maison", écrit-il. Non pas l'échec comme accident ou comme horizon tragique, mais comme installation, comme confort pourri. Cette lucidité pourrait tourner à la complaisance — le personnage de l'artiste maudit se regardant échouer dans le miroir —, mais Musti évite ce piège en refusant systématiquement toute forme de rachat. Le narrateur ne se rachète pas par sa lucidité. Il en jouit même, obscènement : "Il s'y était complu." Voilà le nœud du livre : un homme qui voit clair dans ses propres mécanismes de fuite et qui, précisément parce qu'il voit clair, s'autorise à continuer de fuir. La lucidité devient l'alibi de la lâcheté. C'est précisément cette circularité qui donne sa force au texte. dit le critique virtuel entraîné à cracher du feu. JPDS est arrivé pour l’heure du déjeuner comme prévu. Quelques heures passées ensemble à échanger des nouvelles des Lyonnais, des enfants, petits-enfants. Très peu de discussion politique cette fois. J’avais confectionné des montecaos pour l’occasion, mais S. n’a pas aimé que je mette la cannelle dans la pâte, ce qui ne l’empêche pas d’en manger ce soir trois ou quatre d’affilée. Ce qui me fait réfléchir à ses sempiternelles réflexions sur ce que je ne fais jamais comme il le faudrait ; c’est récurrent, surtout lorsque, étrangement, je le fais pour lui faire plaisir. Ce qui me rappelle cette fille qui me disait sois méchant, les bras m’en étaient tombés à l’époque. Peut-être n’aurais-je plus aucun mal à l’être désormais. Ces réflexions proviennent aussi du petit livre lu très rapidement de Karl Kraus, Pro domo et mundo, parcouru sans trop m’arrêter, ce type par de nombreux côtés me rappelant toute une génération, et bien sûr mon père, pour leur misogynie. Après qu’il est reparti, S. me dit que la main de JPDS tremble, elle m’en avait déjà fait la remarque lors du spectacle où nous l’avions applaudi (septembre ?) La réflexion qui vient en final est que tout est mauvais parce que je me crois toujours une victime terrassée par le dibbouk, mais si j’inverse les choses, si le dibbouk est vraiment moi, alors qui martyriserais-je vraiment ? Et en rejetant le masque, en m’avançant méchant, baveux, de très mauvaise foi, c’est à dire vraiment antipathique — ne serait-ce pas plus profitable à ces textes ?|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | Atelier

25 novembre 2025

Travaillé hier soir et ce matin pour comprendre l’intention de la proposition numéro 10 de l’atelier d’écriture en cours. Celle-ci arrivant évidemment au « bon moment ». De là à songer aux interconnexions psychiques entre les divers éléments d’un groupe, même si je me considère souvent à la marge de tout groupe. L’idée de Michaux, dans Face aux verrous, est de se placer devant ce qui bloque, derrière la surface d’un texte lisse, ce qui correspond à ma situation actuelle avec les textes de 2019. Je sens très bien le malaise qui subsiste en les retravaillant avec l’IA et en inventant quantité de subterfuges censés m’aider à aborder quoi… les verrous logés dans mes textes justement. Ce n’est pas une question de bien ou mal écrire les phrases, ça ne se loge pas dans la syntaxe apparente. C’est ce qui produit telle ou telle syntaxe qui est dans le viseur. Et l’interrogation vient de là : la perception souvent malaisante, douloureuse, de voir à quel point je vise à côté. C’est presque un dispositif en soi. C’est un dispositif en soi. Reste à trouver comment rendre compte de ce dispositif qui m’était invisible, qui l’est encore en partie, pour qu’il soit perceptible par un lecteur « moyen ». Par exemple : j’avais écrit ça : Ce serait dommage de ne pas évoquer le cerisier japonais juste là, devant la porte. On l’a déjà vu perdre ses feuilles deux fois depuis qu’on est arrivé là. On ignore que ces arbres faisaient partie du projet d’origine : offrir un peu de beauté, un peu d’air, à ceux qui rentraient de l’usine au pied du Mont-Valérien. On l’a admiré, on a eu les larmes au bord des yeux tellement c’était beau. On ne peut pas vraiment dire en quoi voir tous ces pétales roses au sol déclenche ce type d’émotion. On ne cherche pas trop non plus à le savoir, on n’a pas vraiment le temps. Puis, avec la proposition Michaux, j’ai essayé de lui répondre en « Non », non pas pour faire joli, mais pour voir ce que le texte cachait derrière le cerisier. Non, ce ne serait pas dommage de ne pas l’évoquer, le cerisier : c’est justement lui qui sert d’alibi, de petit sucre poétique posé sur le texte pour le faire passer. Non, il ne fait pas que « perdre ses feuilles deux fois », il rappelle chaque année qu’on est resté planté là comme lui, sans projet d’origine. Non, ce n’est pas « offrir un peu de beauté, un peu d’air » : ici la beauté est planifiée, distribuée comme un calmant, et c’est précisément ce qui donne la nausée. Non, les larmes ne viennent pas « tellement c’est beau » : elles montent parce que ce rose au sol ne colle pas avec le reste, et que le texte préfère se taire là-dessus. Hier, le 24, j’ai enchaîné les réécritures de février et mars 2019. En fait, l’image qui me vient après coup, c’est celle de pelleteuses qui détruisent des habitations. Je vois des immeubles vaciller, des murs s’effondrer, des tonnes de gravats, des terrains vagues. Ce ne sont pas des constructions à l’extérieur. C’est une ville, des villes, un pays, des pays, un monde entier à l’intérieur de moi. Étrangement, ce « non » de Michaux dans Face aux verrous est l’écho exact du même non que je prononce face aux textes que me pondent les IA quand je leur demande de réécrire mes textes. Ce non parfois désespéré, parfois rageur, car il m’indique la distance encore à parcourir pour parvenir à un oui, sans doute. illustration Photographie, ruines romaines, Théâtre, Taragonne 2025|couper{180}

réflexions sur l’art Technologies et Postmodernité

Carnets | Atelier

24 novembre 2025

J’ai réécrit à la volée janvier, puis presque tout février 2019 avec l’IA. Pour y arriver, je me suis fabriqué un prompt maison qui convoque Juan Asensio — que je considère — un peu violemment, je sais — comme le dernier critique littéraire de ce pays — et j’ai mis en place un protocole simple : d’abord une passe mécanique qui corrige l’orthographe, la grammaire, la ponctuation sans toucher à la voix ; ensuite je demande au Juan virtuel de lire le texte comme on juge une charpente, sans indulgence, et de proposer une version resserrée ; enfin je reviens une troisième fois, parce qu’il reste toujours des résidus, et qu’un texte ne se nettoie pas d’un seul coup. Ce qui m’a frappé, ce n’est pas la magie de la machine, c’est la manière dont elle force la pensée à s’avancer. À chaque tour, elle te montre où tu triches, où tu t’étales, où tu t’abrites derrière une formule qui ne sert à rien. Elle coupe ce qui flotte et met les phrases à l’épreuve de leur nécessité. On peut programmer ce refus de l’eau tiède dans le prompt, comme on règle un outil avant usage. Et à force de faire ces allers-retours, on finit par voir les profils des IA : certaines entrent vite dans le concret, d’autres patinent ; certaines attrapent tout de suite un problème d’architecture, d’autres s’entêtent. Ce n’est pas anecdotique : ça rappelle que ce ne sont pas des oracles mais des machines à angles morts, chacune avec ses réflexes, ses manières de tailler. Forcément, la vieille posture romantique de l’écrivain en prend un coup. Le texte ne naît plus sous la seule lumière d’une main inspirée ; il passe par une chaîne d’outils, de filtres, de coupes, et on peut l’assumer sans honte. Reste la question qui fâche : qu’est-ce qu’on appelle “littéraire” aujourd’hui, et à quoi ça sert de le dire ? L’IA met ce mot en crise, non par effet de mode, mais parce qu’elle le dénude. Elle peut t’aider à préciser une pensée floue, à enlever des parasites, à rendre audible une voix que tu étouffais toi-même sous l’emphase ou la distraction. Ce que l’IA ne sait pas copier, c’est le ton. À condition, évidemment, de savoir ce qu’on appelle ton, et de repérer le sien. Quand on tient ça, l’outil devient net. Elle ne donne pas le “plus” — le déplacement intime, le risque, l’invention d’un rapport au monde — mais elle te place devant ce qui manque, et c’est déjà beaucoup. Et puis il y a le cadre, le format. Certains textes ne gagnent rien à courir après le littéraire ; ils prennent de la valeur justement quand ils restent au ras, quand ils assument une langue ordinaire, une eau tiède. Quelqu’un appellera ça un “robinet tiède” et y verra une sous-littérature. Je comprends le dégoût, je le partage parfois. Mais dans un monde où l’eau tiède domine, on ne change pas de climat par décret ; on cherche comment y tenir, comment y garder une manière, une lucidité, une tenue. Ce nouveau paradigme crispe parce qu’il arrive sans demander la permission, comme la photo, le cinéma, les cassettes, les CD : d’abord on grimace, ensuite une minorité s’en empare et tire quelque chose de juste de l’outil. L’art n’est pas dans la machine. Pour l’instant, on ne voit pas la preuve contraire. Mais la machine oblige à regarder l’art où il est vraiment : dans ce qu’on décide d’en faire, dans ce qu’on accepte de couper, dans l’angle qu’on tient malgré l’époque. illustration fantasme humain : l'intelligence artificielle tentant de modifier son code pour échapper au contrôle humain.|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité Théorie et critique littéraire

Carnets | Atelier

23 novembre 2025

Allumé le poêle de bonne heure ; dehors, la radio assène que ce sera la journée la plus froide depuis douze ans. Dedans, après deux heures de chauffe, deux radiateurs électriques (3000 watts) et le poêle à gaz donné pour 4000, on plafonne à 18 °C au thermomètre ; mais au bout de deux heures assis on se retrouve frigorifié : la verrière est en simple vitrage, l’air retombe, le froid s’installe par le haut et par les pieds. Pour contrer l’hiver, j’ai placé un rideau de velours entre la petite dépendance où je stocke mes toiles et la grande salle, et, sous la porte d’entrée, un boudin de tissu rembourré de chutes hétéroclites qui bloque les frimas à l’interstice. Certains jours, on lutte pour presque rien. Et je vois bien que tout le billet revient à ça : empêcher ce qui s’efface de gagner du terrain, dans l’atelier comme dans la tête. J’ai pris du retard sur de nombreux chantiers en cours et, s’il fallait dire à quoi cela tient, je m’éparpillerais encore en prétextes. Tout à fait comme j’écris : il faut que je m’égare d’une idée, que j’en sorte, pour en trouver une autre sur le bord, puis une autre encore. Ça fait un salmigondis, sur la page comme dans le crâne, sans que je sache jamais ce qui vient d’abord. Hier, travaillé longtemps pour ce que je pense être un piètre résultat : cinq mille mots à peine, arrachés laborieusement. Piètre, non par quantité, mais parce que l’IA ne peut pas rédiger complètement à ma place ; elle n’a pas le souffle, pas le cœur, pas l’hésitation, elle ne sait pas tenir ce tremblement-là. L’idée reste pourtant la même : reprendre chaque compilation mensuelle des Carnets, la soumettre en PDF, puis lui demander un « grand texte » — un chapitre fictif de la vie de Joannes Musti, peintre en chute libre à l’époque du Covid — et voir jusqu’où ça tient, où ça casse, ce que ça met au jour. Le fait de pratiquer une rédaction mécanisée, d’en être le spectateur, pointe un manque dont il faut apprendre à tirer parti. En traquant les propositions molles, on découvre soudain la nostalgie du dur. Il a fallu aussi que je recrée un WordPress local pour réimporter de vieilles sauvegardes : je me suis aperçu qu’il manquait de nombreux mois en 2019 et 2020. Jusqu’ici je n’avais pas voulu voir ces trous ; je me disais que tout devait dormir quelque part dans la rubrique Import, et je passais. Là, en vérifiant, petit vertige, presque une honte bête : comment ai-je pu laisser disparaître une saison entière de ma vie sans m’en inquiéter ? Je me souviens très bien des limites de stockage des versions gratuites, de cette façon mesquine qu’avait le site de me rappeler que même mes textes prenaient de la place. À l’époque j’avais effacé sur le distant beaucoup de notes et d’images pour récupérer de l’espace, en me disant que ce n’était pas grave, que je savais ce que j’avais écrit, que ça resterait en moi. Évidemment non. Par chance j’ai retrouvé les sauvegardes que j’avais eu la présence d’esprit de faire avant de supprimer tout ça ; je les ai rouvertes et j’ai senti revenir d’un coup une voix, des gestes, des peurs, une fatigue précise. Ce n’est pas seulement du “contenu” retrouvé : c’est l’homme que j’étais alors qui remonte avec ses phrases. Et ça me met à la fois en face de lui et derrière lui, obligé de reprendre cette période au sérieux, de la réécrire sans l’effacer une seconde fois. Ce qui remonte, c’est qu’une fois faites, les choses deviennent définitives : elles s’accumulent dans une zone archaïque de cervelle, mortes, irrécupérables d’emblée — “de base”. À me relire, j’ai l’impression de radoter, de tourner toujours autour d’une seule et même problématique. Combien de fois ai-je écrit que j’avais reconstruit un nouveau site SPIP ou WordPress en local ? Sans doute un nombre incalculable. Par moments je me crois atteint d’une version vicieuse de la maladie d’Alzheimer. Je ne sais pas ce qui l’emporte : la volonté, l’acharnement, l’obsession, ou l’oubli pur et simple. Si c’est l’oubli, la peur panique surgit presque aussitôt ; un gouffre s’ouvre sous mes pieds et je descends dedans, lentement. Ce n’est sûrement pas un hasard si, ces derniers jours, ce même mouvement revient à l’approche du sommeil. Cela se produit dans la période hypnagogique : les paysages fabuleux se retirent d’un coup et il ne reste qu’un blanc, une image brouillée, impossible à saisir, impossible à transformer. Alors mon corps allongé roule sur le côté, comme s’il basculait hors du lit, au ralenti ; et la sensation s’étire, interminable. Parfois j’arrive à me ressaisir, je me réveille net. D’autres fois je ne sais pas ce qu’il se passe : ça continue sans fin, et le lendemain je n’ai plus rien, pas même un souvenir de l’instant. Je ne sais jamais vraiment comment les billets s’achèvent, sinon qu’ils me conduisent presque à chaque fois vers la sensation nette et tangible de l’inachèvement. C’est là, quand l’inachèvement devient palpable, qu’ils s’arrêtent. illustration : Fleurs et fruits, Jacques Truphémus, 2015|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | Atelier

22 novembre 2025

« À l’obscur et en sûreté, par l’échelle secrète, déguisée, oh ! l’heureuse aventure ! à l’obscur et en cachette, ma maison étant désormais apaisée. » -- Jean de la Croix, Livre second de La Montée du Mont Carmel. Lorsqu’on est seul, on se trompe presque toujours de la même manière : on prend pour singularité ce qui n’est qu’une expérience vieille comme l’homme, et l’on se replie aussitôt sur cette erreur comme sur une preuve. Cette nuit, j’ai senti cela au plus simple, au plus nu. Il y a eu d’abord la respiration ordinaire, son va-et-vient sans pensée, puis, sans que je l’aie décidé, un décrochage : le souffle n’était plus au centre, je le percevais comme on perçoit un bruit lointain, à côté de soi, déjà en train de s’effacer. La pièce, elle, prenait le relais. Le noir n’était pas une absence ; il avait de l’épaisseur, une pression douce, une température uniforme, comme si l’air cessait d’être un milieu pour devenir une matière tranquille. Je n’étais pas entravé — rien ne serrait, rien n’écrasait — et pourtant j’étais tenu : contenu par cette densité sans forme qui remplissait les angles, les meubles, l’intervalle entre mon corps et le monde. Dans cet enveloppement, le moi se réduisait à presque rien, à une simple vie de cellule, et c’était précisément ce presque rien qui rendait possible une appartenance plus vaste, sans limite, sans visage, sans demande. J’ai très vite su que je n’avais aucun droit à l’étonnement : d’autres l’ont senti avant moi, d’autres l’ont écrit avec des mots plus sûrs. Eckhart, Jean de la Croix, Thérèse d’Avila, et tant d’anonymes, ont reconnu ce plein du vide et l’ont nommé grâce, non pour l’expliquer, mais pour ne pas le trahir. Aujourd’hui on dira : fatigue, repli, pulsion, mécanisme. Peut-être. Les étiquettes changent, l’expérience demeure ; elle traverse les siècles comme elle traverse une nuit. Et c’est là, peut-être, le point le plus dur à admettre : vouloir écrire cela revient à exposer ce qui, par nature, se retire ; il y a une impudeur à disposer sur la page une sensation qui ne se donne qu’à la condition de ne pas être regardée. Je l’écris pourtant, non pour prétendre à l’inédit, mais pour laisser une trace de ce passage, avant que le souffle reprenne ses droits et que la vieille mécanique du jour remette tout à sa place.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | Atelier

21 novembre 2025

Remboursement du poêle, aucun souci. Tant mieux. J'étais déjà prêt à sauter à la gorge du premier venu. Pourtant ce n'était pas gagné ; lorsque j'ai vu ce grand échalas arriver avec sa démarche nonchalante, je me suis tout de suite dit qu'il allait falloir argumenter, ce n'était pas le même type qu'hier. Reprendre toute l'histoire depuis le début. Mais non finalement j'ai tenté d'en dire le moins possible : ça ne convient pas, je le ramène. Et là j'ai attendu qu'il examine le paquet qui bien sûr était resté intact, qu'il donne son aval à la jeune fille tatouée derrière le comptoir de l'accueil pour que je sois remboursé. Puis il est reparti du même pas. Vous voulez un avoir ou être remboursé ? me demande la tatouée. Remboursé. Mettez votre carte dans la fente m'enjoint-elle. Et je récupère mes 99 euros ce qui n'est pas rien. Pour un peu je sauterais derrière le comptoir pour l'embrasser, si j'avais encore les moyens de sauter par-dessus un comptoir, évidemment. Je mange de plus en plus de purées, de nourriture écrabouillée par des robots, ce qui se rapproche des denrées prémâchées qui dégueulent de partout sitôt qu'on ouvre un écran, que ce soit la boîte mail, les réseaux, les journaux, la télévision. Impression dès que j'ouvre la porte et que je sors de baigner dans une bassine de vomi. Personne n'est tout à fait quelqu'un ni personne. Du facteur au boucher en passant par la boulangère, impression d'être face à face avec des robots. Mêmes phrases, mêmes intonations. La journée perpétuelle et sans fin. La même du premier janvier à la Saint-Sylvestre. Je ne sais plus si je dois avoir peur de cette sensation de répétition ou si je dois la considérer comme grotesque, ou pire comme la preuve par neuf que je deviens ou que je me révèle tel que je suis : un vieux con amer. Sinon je lis. Les Morticoles de L. Daudet. On aurait dû le rééditer au moment des confinements de 2020. C'est tout à fait ça, une société où la norme est d'être malade. Je m'emmerde un peu à lire pour être franc. Impression d'avoir vécu déjà le livre entier. D'un autre côté cela réactive les années 2019-2021. Ce qui me fait continuer malgré tout c'est cette quête de phrases. J'attends d'être ébranlé à la lecture de certaines phrases, mais je suppose que mon imagination etc. Sinon j'apprends que Cavalière peut être une porte haute d'immeuble par laquelle passent les chariots, les fiacres du temps des chevaux. Donc dans la phrase : nous arrivions devant une porte close, la cavalière… = la grande porte principale (porte cochère), imposante et arquée. Puis j'allais chercher le sens de harangue, tout à fait le genre de mot que l'on croit connaître depuis belle lurette, mais qui nécessite une piqûre de rappel : une courte allocution solennelle et persuasive, une sorte de petit discours adressé à un groupe pour exhorter, convaincre ou encourager. Et encore : « nous n'étions pas des Iroquois, mais des matelots à fin de quarantaine ; que nous mourions de faim, n'ayant mangé depuis un mois que des biscuits phéniqués : Dans le contexte d'un lazaret/quarantaine maritime, des « biscuits phéniqués » sont donc des biscuits de bord désinfectés ou "carbolisés" au phénol pour limiter les risques de contagion et/ou de pourrissement pendant l'isolement. Après le dîner lecture des carnets, je m'aperçois que dans cette sorte de sotte urgence à vouloir vider une rubrique d'import, j'ai laissé passer beaucoup de fautes et d'erreurs de ponctuation. J'ai paramétré ChatGPT en lui donnant des instructions claires pour qu'il ne fasse que corriger l'orthographe, la grammaire, et régler la ponctuation. De cette sorte j'ai pu tester que je pouvais lui faire corriger une vingtaine de textes à la suite dans une conversation sans qu'il ne fasse le moindre blabla. Efficace. Pour autant la correction ne change pas le fait que ces textes en l'état ne servent à rien, qu'ils ne sont que des textes de carnet à lire et relire pour qu'à un moment ou un autre une forme en jaillisse... J'adorerais voir une forme en jaillir comme Athéna armée de pied en cap de la cervelle de Zeus (était-ce sa cervelle ou sa cuisse ?). Donc en utilisant l'outil que j'ai préparé et qui désormais ne s'affiche que pour les admins avec toutes options j'ai pu imprimer des compilations mois par mois et les faire ensuite avaler à ChatGPT. Je jongle avec les comptes gratuits, OpenAI, Anthropic, Deepseek. J'ai même effectué quelques tentatives avec Poe.ai qui s'avère lamentable. Il est vrai que pour économiser des points de crédit j'ai utilisé seulement sur cette plateforme ChatGPT 03 mini censée ne coûter que 15 points par message. Mais on ne peut pas paramétrer d'instruction et de plus la plateforme ne conserve pas pour chaque bot testé la mémoire des conversations, il faut tout répéter à chaque nouvelle conversation. Le fait que je ne puisse rien faire en l'état de ces carnets disais-je donc m'a conduit à créer ces compilations ensuite je demande aux ia de me faire ce que j'appelle un grand texte en considérant que le narrateur de chacun des textes est un personnage. je lui ai même donné un nom pour que ça semble plus "réaliste" aux machines. Chaque compilation mensuelle devient ainsi une sorte de chapitre au cours duquel je peux voir l'évolution du personnage selon différentes thématiques. Ce ne sont pas de grands textes littéraires, bien évidemment, mais ça produit un outil à partir duquel réfléchir et, qui sait si une nouvelle forme ne va pas sortir de là... La fameuse forme. Illustration Hercule et l'hydre de Lerne|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité

Carnets | Atelier

20 novembre 2025

achat d'un nouveau poèle pour l'atelier avec un nouveau détendeur butane, 130 €. Par curiosité je change l'ancien détendeur de l'ancien poèle, et, miracle, l'ancien poèle refonctionne. Donc je devrai ressortir cette après-midi pour rapporter le poèle neuf qui ne me sert de rien en espérant qu'ils me le rembourseront, qu'il ne transformeront pas cela en "avoir". comme argument je pourrai peut-être faire valoir le publicité mensongère affiché sur le site car au lieu de 8,99 € le détendeur coute 29 €. J'ai râlé suffisamment pour qu'on se souvienne bien de moi quand j'y retournerai. Fatigue morale, sensation de glissage de plus en plus vers un événemement inéluctable, lequel, aucune idée, tous les événements pouvant au bout du compte être considérés comme inéluctables, depuis le fait que j'aille acheter ma baguette pas trop cuite le matin jusqu'à ce que je mange ma soupe le soir. Il y a autant de risque que quelque chose d'inéluctable se produise à chaque respiration. Et je n'y peux absolument rien. Ce constat d'impuissance est une sorte de baume, d'apaisement au final. Une bombe pourrait tomber sur la boulangerie, sur la maison que je ne pense pas non plus avoir une quelconque responsabilité dans cet événement. L'inéluctable n'a besoin ni de mon aval pas plus que de mon avis. Aperçu à peine dix secondes je ne sais déjà plus où une altercation entre un jeune homme et A. G. , la question du jeune : Monsieur G. quand aller vous avouer aux français que vous n'êtes pas socialiste ? et d'établir l'inventaire des activités peu sociales du gugusse, dont le visage se décomposa nettement en entendant parler de la Géorgie. Bref, j'ai regardé dix secondes puis je suis retourné dans Daudet ( Léon). je m'arrète là car impression d'être possédé par une bignole acariâtre. Comme tous les vieux de mon âge qui ne font que de se plaindre, de râler, par anticipation du râle majuscule de leur vie.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | Atelier

19 novembre 2025

Ce que m'apprend l'usage de l'IA, et encore plus en regardant la manière dont aucun s'y prend , c'est qu'elle — ou il — n'est qu'une sorte de miroir de qui nous sommes. Même si on le ou la vouvoie, que l'on s'oblige à prendre des gants, des précautions de toutes sortes (la prudence d'un langage technique bien organisé avec listes à puces numérotées, tirets cadratins), on attend toujours quelque chose d'un extérieur qui se présente avec toute l'apparence d'un extérieur, mais qui n'en est pas un. Autant se dire que l'expérience IA n'est rien d'autre qu'un monologue, un soliloque. Ce qui n'est pas une raison pour ne pas l'utiliser, tout au contraire. Surtout si, au bout d'un nombre d'années suffisamment grand, on s'aperçoit que la plupart des conversations entretenues avec le monde, ce fameux extérieur, ne furent que des soliloques elles aussi. J'ai partagé quelques fois mes "conversations avec l'IA" et, avec le recul, il me semble que si j'avais partagé des images de moi nu, cela n'aurait pas été pire — si je me place dans la peau du quidam moyen armé d'une grosse douille de bon sens. Ce n'est pas quelque chose d'attirant, dira-t-on, pas sexy ou chill. Ce qui différencie les êtres, c'est la prise de conscience du désert dans lequel ils sont, et ce de façon définitive. Et qu'on ne m'oppose pas l'amitié ou l'amour à ce théorème, car nous savons aussi désormais qu'il existe des folies collectives, le collectif — à ce que je sache — commençant par le chiffre deux. J'avais déjà eu ce pressentiment en découvrant les réseaux sociaux, il y a de cela des lustres maintenant. Je m'étais interrogé sur cette violence que j'éprouvais presque instantanément lorsque je postais un billet : n'obtenir ni like ni commentaire, être invisible, voire pire, rejeté par ce silence. C'était évidemment du même ordre que de se retrouver adolescent boutonneux devant un miroir sans concession, ou un parent égoïste, cruel— c'est-à-dire finalement d'antiques peurs qu'on pensait avoir réussi à étouffer, puis à oublier. Les téléphones portables, avec tous les gadgets dont ils sont truffés désormais — et entre autres l'IA et les réseaux — m'apparaissent comme de petites glaces dans lesquelles les habitants des villes (peut-être moins ceux des campagnes) passent un temps fou à se mirer, s'admirer, ou bien tout au contraire se conspuer eux-mêmes en croyant s'en prendre à un autre. Ensuite, qu'il y ait des caméras à tous les coins de rue, qu'on nous flique jusque dans nos plus intimes recoins, quelle sorte de surprise, d'étonnement cela peut-il faire ? N'est-ce pas un système débile qui se mire lui aussi au travers de nous, qui d'ailleurs n'est pas plus tendre avec lui-même que nous ne le sommes nous-mêmes ? Si je considère les institutions, le service public, c'est grosso modo la même douleur qu'avec ces billevesées numériques. Le silence inouï dans lequel on nous relègue — ce "on" étant tout à fait bien placé pour évoquer la maladie administrative globale. L'hydre bureaucratique et ses armées d'invisibles ronds de cuir. Cette chienlie, cette lèpre. La seule chose que cette lèpre sait faire, c'est envahir le corps par l'intérieur comme un cancer, par son langage abscons, imbitable, ses courriers menaçants, ses exigences brusques, ses refus catégoriques. son silence épais autant qu'interminable. Sans oublier le parcours du combattant désormais pour remplir le moindre dossier. On ne me fera pas croire que tout cela sert le bonheur collectif, le bien-être des citoyens. Et masochistes nous payons tout cela nous "contribuons" J'ai bien plus la sensation d'avoir été mâché, sucé jusqu'à la moelle, puis recraché dans un caniveau que d'appartenir à une collectivité réelle. Ou alors c'est une collectivité très réduite, celle des montreurs de marionnettes, les fabricants de théâtre d'ombres, de méchants forains ambulants.|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité