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C’est une maison simple. Elle ressemble à tant d’autres, le long de la rue Charles Vénuat, quartier de La Grave, à Vallon-en-Sully. Un rez-de-chaussée, un étage. Une cave, un grenier.

Au rez-de-chaussée vit Charles Brunet. 85 ans. Ancien instituteur et secrétaire de mairie. Il dit que sa vie est réglée comme du papier à musique. Chaque matin, il trempe le pain de la veille dans un bol de café noir, sans sucre. Il se lave le visage dans l’évier de la cuisine, s’habille lentement, et part, à pied, jusqu’au village, à quelques kilomètres. Qu’il pleuve ou qu’il gèle, il va chercher son journal. Ensuite, il fait ses mots croisés. Le reste de la journée.

À l’étage vit une famille. Le père est voyageur de commerce pour une société de revêtements bitumineux. Il part tôt, revient tard. La mère est couturière à domicile. Elle reçoit dans la salle à manger, les volets souvent à demi clos. Les enfants ont sept et quatre ans. Ils parlent avec l’accent du coin, pour ne pas qu’on les traite de Parisiens. C’est mieux, disent-ils, pour avoir des copains.

Dans la cave, les pommes de terre sont rangées dans des cagettes tapissées de feuilles de La Montagne. Sur des étagères bricolées : haricots verts, petits pois en bocaux. Cerises à l’eau-de-vie, prunes au sirop. La cave est une réserve. On n’y va pas tous les jours, mais on sait ce qu’il y a.

Le grenier est en désordre. On y monte par un escalier large. En dessous, une penderie : parkas, manteaux, costumes de laine. Au-dessus, des boîtes en carton et en métal : chapeaux passés de mode, chaussures, foulards, gants. Dans le grenier lui-même : des lettres sans signature, des photos sans noms. On imagine des visages, des noms oubliés. Puis on referme la malle.

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J’ai garé la voiture devant la maison. Nous revenions de Saint-Bonnet, nous avions déjeuné à Hérisson, au pied du château. Un petit établissement, repas à moins de 15 euros. -- Arrête-toi donc, m’a dit mon épouse quand je lui ai montré la maison. J’allais passer sans m’arrêter. J’avais ralenti pourtant. Mais je me suis arrêté.

C’était la même maison en apparence, mais comme vidée de quelque chose. Quelque chose d’indéfinissable.

Le lierre avait été arraché de la façade. La rangée de pommiers, celle qui séparait la cour du jardin potager, avait disparu. Même le vieux cerisier n’était plus là. Tout était propre, net. Trop.

Je regardais ça de l’autre côté de la route. J’avais envie de repartir. -- Attends, a dit mon épouse.

C’est là qu’une femme est arrivée, à vélo. Elle nous a regardés, méfiante. Elle a ouvert le portail, a fait entrer son vélo.

C’est mon épouse qui a parlé. Moi, je ne pouvais pas. -- Vous êtes la propriétaire ? -- Oui, a répondu la femme, mais son visage s’est encore durci. Elle ne comprenait pas ce qu’on faisait là. -- Mon mari a vécu dans cette maison, enfant, a dit mon épouse.

Alors c’est devenu pire. La femme a parlé de l’achat de la maison. -- Votre père était un type infect, elle a dit.

Je voulais repartir. Ça n’avait plus aucun sens. Je ne voulais pas savoir. Je savais déjà, ou je me doutais. Honte de lui. Et, tout de suite, honte de moi. Honte de tout.

-- Viens, j’ai dit. On s’en va. Ça ne sert à rien.

Un autre type est arrivé. À mobylette. Une bleue. Comme on disait autrefois. -- On n’a rien à faire avec vous, a dit la femme, quand elle l’a vu. On est repartis. Je ne suis jamais repassé devant la maison depuis.

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