Je reviens aux pensées enfantines. Ces idées étranges que j’ai fini par taire. On appelait ça de l’animisme, doublé d’idiotie. On disait aussi que j’avais un génie des nombres, tué net par l’école des années soixante, ses classes, ses cahiers. J’ai écrit quelque part qu’il suffit de croire pour devenir. La croyance comme moteur du travail. Rien de miraculeux. Une simple astuce. Mais une fois débusquée, impossible d’y croire encore. Alors surgit la question : d’où vient-elle, cette croyance ? On comprend qu’elle n’est pas de soi. Elle vient d’un héritage. Quelqu’un, jadis, a voulu commencer quelque chose qu’il n’a pas pu finir. En nous demeure sa plainte, son inachèvement. Le plus faible de la fratrie la transporte, rêve d’un accomplissement possible. L’idée de génie n’est qu’une scorie, une poussière sur cette plainte.

croyances fossiles, enfouies au plus profond de l’oubli

Fermer les yeux. Se boucher les oreilles. Plisser les lèvres. Automne dehors, automne dedans. Arbre et feuilles.

racine lente, tronc droit, feuilles bruissantes

Comment sera la littérature au XXIIᵉ siècle. Quand j’étais enfant, dans une galerie avec ma mère, j’avais trouvé l’exposition incomplète. Pourquoi seulement l’œil et la cervelle ? Pourquoi pas le corps, l’odeur, le pas qui monte et descend ? Après l’autofiction et le nombril, après l’anthropocentrisme, peut-être viendra le temps où les pierres, l’eau, la végétation parleront enfin. Une langue commune. Un espéranto cosmique. Nous ne mangerons plus rien. Les vieilles faims, les vieilles soifs auront disparu avec la solitude et la haine.

compression. mémoire froide. millénaires comptés. silence plus lourd que vos livres.
écoulement. fragments de lumière. j’absorbe les voix, je les roule, je les rends sans hiérarchie.
racine. sève. expansion lente. je parle depuis vos os et vous n’entendez pas.

illustration : Ansel Adams, Paysage de l’Ouest américain
Si on fait CRTL+F5 peut-être d’autres formes d’autres textures dans le texte ...