
Je ne jetterai plus l’eau des pois chiches. Elle a un nom : Aquafaba. Un mot d’écume, de lagune légère. On dirait une nymphe douce, une cousine lointaine de l’Aurore ou de la Brume.
Cette eau, pourtant grise, presque triste, monte en neige. Elle se transforme. Elle devient mousse, souffle, nuage.
Avec elle, on peut faire des meringues, des crèmes, des desserts — sans œufs. C’est magique, presque drôle. Presque politique.
On peut la faire réduire, oui. La faire épaissir. La rendre plus dense. Comme une promesse plus facile à tenir.
Les haricots, les lentilles, les rouges, les blancs — eux aussi murmurent une Aquafaba. Chacun sa variation, son grain, sa note.
Et pendant ce temps, les poules s’agitent à peine. Épargnées. Reconnues. Peut-être même contentes, va savoir.
sous-conversation
— C’est… joli, non ? Aquafaba… ça sonne bien.
— On dirait un nom de parfum.
— Tu t’émeus pour de l’eau de conserve… sérieusement ?
— Ce n’est pas ça, c’est… l’idée. L’idée de transformer.
— D’épargner ? Ah, les œufs, les poules…
— Un peu de bonté, en cuisine.
— Tu te donnes bonne conscience ?
— Non. Enfin si. Mais pas que.
— Tu veux juste garder cette sensation étrange : avoir trouvé quelque chose de doux, de simple, de juste.
— Même dans un bocal.
note de travail
Texte apporté spontanément. L’énoncé paraît modeste : une eau récupérée, un nom exotique, un tour de main. Mais derrière cette anecdote culinaire, quelque chose se joue.
Il s’agit d’un geste d’économie, mais aussi de réhabilitation. Ce qui était destiné au rebut est nommé, sauvé, transformé. "Aquafaba" devient une figure presque maternelle, nourricière, transformatrice. Une sorte de réparation poétique.
Le sujet montre une attention nouvelle aux détails, aux résidus, aux marges. Peut-être est-ce là une tentative de recoller les morceaux, de soigner une culpabilité sourde – celle d’avoir trop jeté, trop consommé, trop oublié.
Et la dernière phrase, faussement naïve – "Ce sont les poules qui vont être drôlement contentes" – fonctionne comme un trait d’humour protecteur. Elle dissimule l’émotion derrière un sourire.
Un transfert du soin. Une manière de dire : j’essaie. Je fais ce que je peux. Même à travers un flan végétal.