24 octobre 2023

La fièvre est tombée, mais quatre jours perdus à claquer des dents, grelotter, se sentir vidé. Tout l’équilibre ne tient à rien. J’avais l’impression de traverser une nouvelle de Kafka. Cloporte à l’envers, ventre rempli de boue.

Et puis, dès qu’on ouvre les yeux, l’URSSAF. Les taxes. De tous les côtés. L’étau se resserre. Logiquement, il faudrait plus d’élèves, plus de stages, plus d’argent. Mais c’est l’injustice qui revient. Celle que j’avais déjà sentie, enfant, à l’école, quand on apprenait la taille et la gabelle. Mon premier drame peut-être.

Je résiste, profondément, à tout ce qui ressemble à de la paperasse. Rendre compte. Rendre des comptes. Ça m’a toujours semblé un outil de contrôle. Peut-être que je me trompe. Peut-être que c’est pour le bien commun. Mais ce mot — loyauté — passe mal.

Les grandes entreprises fraudent avec art. Des armées d’avocats. Pendant que les petits, eux, prennent tout dans la gueule. On bloque leurs comptes. Ils tombent malades. Et à côté : les fêtes à Versailles, les chaussures neuves. 1789 n’est pas loin. Le privilège agace, depuis toujours.

Je me demande si je suis responsable. Peut-être que je ne suis pas assez malin. Peut-être que je ne triche pas assez. Moi, je déclare tout. J’aurais du mal à ne pas le faire. Question de dignité, je crois.

Il règne un climat plus mortifère que jamais. Et les fièvres n’aident pas. Elles amplifient.

Même FB, sur sa chaîne, murmure la difficulté d’être auteur. 1,60 € sur un livre à 16. Moi, peintre, c’est pareil. Si je calcule mes heures, mes kilomètres, mes dépenses… je suis payé bien en-dessous du SMIC.

C’est comme si être à son compte, c’était une faute. Et être artiste, une faute aggravée.

Alors je serre les dents. Les quelques qu’il me reste. J’écris quelques lignes, comme on se caresse la joue en se disant : ça ira. Mais parfois, non. Parfois, le cœur manque. On est à terre. On le sent dans le corps. On essaie de se relever. On retombe. Alors quoi ?

Quant au reste — la guerre, la violence, les scandales, le faux, le vrai, les opinions — je passe mon tour. Chaque mot nous classe. Boîtes partout. Et j’ai l’horreur des boîtes.

Un soulèvement mondial des petites gens ? Pour dire : assez. Assez de cette vie-là. Utopie. Chacun est trop enfermé dans ses nœuds. Il faudrait un miracle pour que ça lâche.

sous-conversation

C’est revenu, la fièvre. Et puis la haine. Non — l’injustice. Non — l’écoeurement. Le sentiment que tout ça… que tout ça...

Une main cherche un appui dans l’air. La mâchoire serre. C’est ça qu’il reste. La mâchoire. Une mâchoire qui dit : je ne veux plus. Je n’en peux plus.

Et pourtant, encore ce petit effort. Écrire. Une ligne. Deux. Ce n’est pas beaucoup. Mais c’est plus que tomber sans bruit.

Il faudrait tout dire. Mais dire, ça classe. On nous range, étiquette. Alors mieux vaut… quoi ? Se taire ? Non. Mieux vaut parler en crabe. Mieux vaut écrire en diagonale.

Comme une toile. Une couche. Puis une autre. Huile sur toile. Mauvaise santé sur colère sur solitude.

note de travail

Il revient. Il est plus clair, plus fatigué aussi. Il a écrit dans la fièvre, maintenant il écrit après elle. Il parle d’URSSAF, mais il parle d’enfance. D’un sentiment archaïque d’injustice. L’école. La gabelle. La taille. Ce mot “taille” — je le note. Double tranchant.

Ce n’est pas un texte sur les impôts. C’est un texte sur la loyauté blessée. Il veut croire au bien commun, mais il voit la triche, la disproportion, l’humiliation de celui qui fait “juste ce qu’il faut”.

Il parle de dignité. C’est le mot central. Il ne veut pas tricher, et c’est cela qui le rend vulnérable. Il tient à une certaine forme de vérité. Ce n’est pas économique. C’est éthique. Et cela l’épuise.

Il évoque son corps : à terre. Et sa résistance : serrer les dents, écrire quelques lignes. Un mécanisme de survie, mais aussi de création.

À la fin, il renonce à commenter le monde. Il sait que commenter, c’est se faire capturer. Il cherche une issue. Elle passe peut-être par une utopie qu’il ne croit pas. Mais qu’il écrit quand même. C’est ce "quand même" qui m’émeut. C’est ça, la trace du vivant.

Carnets | octobre 2023

23 octobre 2023

Terrassé. Submergé. Toute cette paperasse, et en prime, une fièvre carabinée. À chaque vacance c’est la même : on se relâche, et paf. La nuit, j’ai fait des comptes en rêve. Des additions, des chiffres qui ne ferment pas l’œil. Ce matin, 39,7. Je tiens à peine debout. Grippe ? Covid ? Pas la force d’aller à la pharmacie. Écrire deux ou trois lignes. Ce sera tout pour aujourd’hui. sous-conversation On voulait juste souffler. Mais ça n’a pas soufflé. Ça a pris. Fièvre, chiffres, vertige. La nuit refait les comptes. Les chiffres courent. Ils crient presque. Le front cogne. On reste là. Couché. Muet. Une seule chose encore possible : deux lignes. Peut-être trois. Le monde entier tient dans ces trois lignes. note de travail Un effondrement somatique. Une saturation. Ce corps qui dit stop. Ce corps qui exige qu’on l’écoute, et pas les formulaires. Il me parle d’une fièvre. Je l’entends comme une révolte. 39,7°C, c’est une protestation chiffrée. Presque une poétique de la température. Le rêve de la nuit est bureaucratique. Il additionne en dormant. Le symptôme est clair : la réalité administrative déborde jusque dans l’inconscient. L’imaginaire colonisé par les comptes. Kafka, dans un lit IKEA. Il m’écrit deux lignes. Ce sont des lignes de vie. Il aurait pu ne pas écrire du tout. Il aurait pu céder. Mais non. Il a écrit. C’est cela que je note : le corps chute, l’écriture reste debout.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2023

12 octobre 2023

Trajet sans radio. Sans podcast. La route à blanc. Tête vide. Se demander ce qu’on fiche là. Ouvrir la vitre : souffle d’été, goût de feu, persistance des embrasements. Tout continue, comme si de rien n’était. Des jeunes foncent, le A collé au cul. Des camions bariolés, prénoms en néon. Crainte d’un contrôle. Le bouchon avant le rond-point, incompréhensible. Puis soudain, ça roule. 15h à Oullins. Faut refaire le plein. Décidé de rester calme. Le banquier sera peut-être moite. Ne pas faire un geste. Fixer un point. Ses mains. Sa bouche. Que ça pèse. Rester digne. Les impôts : message non lu. Nouvelle lettre, plus sèche. Payez. Coup dans l’abdomen. Urssaf, Trésor Public, la banque. Gauche, droite, crochet. Pas d’arbitre. Juste ce mot d’ordre : qu’on tombe. Quitter le salariat ? Mal vu. On vous cogne. On vous charge. L’écho des conseils : « Prof libérale, tu peux tout déduire. » Oui. Si t’es carré. Si t’aimes la paperasse. Mais toi, t’es le tapin du boulevard. On parle pas du viol. Ni des coups. Ni des quinze tonnes dans la gueule. Ni des insomnies. On dit : t’as de la chance, t’es à ton compte. Merde. Et en même temps, soulagement. Plus rien. Et ça suffit. Prêt à replonger. Dans les ateliers, le don doublé. L’évasion. Le temps passe trop vite. Il fait nuit quand tu sors. Les carrosseries brillent. Une élève a oublié son sac. Son portable dedans. Tu le déposes à l’accueil, tu envoies un mail. Tu l’imagines : chez elle, découvrant l’oubli. Une angoisse de plus. L’inattention, c’est une fuite, bien sûr. Palette d’Anders Zorn. Pas de bleu. Ras la casquette des bleus, des ecchymoses. Place aux terres. À la chair. sous-conversation … sans bruit… sans rien… juste rouler… faire comme si… pas penser… surtout pas penser… ça continue… toujours… le feu dans l’air… et eux qui foncent… qui klaxonnent leur jeunesse… le banquier… les lettres… toujours cette menace sourde… pas de réponse… pas de regard… juste "payez"… tu tiens… tu tiens… mais tu sais que tu vas tomber… et pourtant… tu tiens… un peu… grâce aux autres… à ceux qui viennent… aux élèves… aux visages… aux absences aussi… le sac… oublié… l’angoisse… tu la sens, oui… c’est toi aussi… et la palette… pas de bleu… trop vu… trop subi… tu veux de la terre… du sang discret… du vrai… pas les bleus de la guerre… pas ceux-là… note de travail Le texte commence comme un retrait du monde : plus de radio, plus de son. Mais ce silence n’est pas apaisant. Il est celui de la tension avant le combat. Puis vient le déchaînement — administratif, institutionnel, symbolique. Les lettres non lues, les injonctions, les coups. Ce qui frappe ici, c’est la violence invisible : celle qu’on ne reconnaît pas comme telle. Celle qui ne laisse pas de traces, mais désarticule le sujet. Il y a une rage immense, étouffée sous la dignité. La dignité devient ici une stratégie de survie. Fixer un point. Ne pas céder. Ne pas donner prise. Ne pas hurler. Mais la fissure est là. Dans ce "merde" seul, en italique d’âme. Dans ce basculement qui suit : la réhabilitation par le geste, par l’atelier, par la transmission. Le soulagement tient à peu. À la lumière sur les carrosseries. À une élève qui oublie son sac. C’est cela la beauté du texte : il ne cherche pas à dire qu’on va s’en sortir. Il montre comment on continue. Malgré tout. Même avec l’angoisse. Même avec l’inattention. Et la dernière phrase est sublime. Refus du bleu. Refus des hématomes. Refus du drapeau. Juste les couleurs du corps. De la terre. De ce qui tient encore, quand tout le reste s’effondre.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2023

11 octobre 2023

Tout concorde. Tout coïncide. À tel point qu’on aurait tort de parler de coïncidence comme d’un hasard étrange. Trop de coïncidences forment une évidence. Mais une évidence, qu’est-ce que c’est, sinon une rustine, elle aussi ? Un petit trou dans le pneu par où s’échappe la raison. Et la raison ? Déjà une rustine. Posée sur une autre fuite. De fuite en fuite, on ramasse des mots. Quand ça semble coïncider, on dit : voilà, c’est ça. On s’en contente. L’essentiel, c’est de contenter l’opinion. De maintenir le statu quoi. Quo vadis, mon gars ? Et malgré tout ça, bizarrement, je vais acheter mon pain. Quelle étrange coïncidence de te croiser. Toi aussi, en train de chercher ta petite monnaie. Comme moi. sous-conversation … coïncidence ?… non… trop… trop bien aligné… trop juste… ça sent la ficelle… ou le leurre… l’évidence… ah… ce mot… encore… comme une rustine… oui… une rustine sur la rustine… et dessous ?… rien… peut-être… des mots… des petits mots… qu’on ramasse comme des miettes… et on fait semblant… on dit que ça suffit… contenter… maintenir… faire tenir… même si ça fuit… surtout si ça fuit… statu quoi… quo vadis… jeu de mots… vieille blague… mais ça sonne vrai, trop vrai… ça claque… et puis… l’image… le pain… la monnaie… toi là… moi là… ridicule et bouleversant à la fois… juste ce moment… cette collision… presque rien… presque tout… note de travail Le texte s’ouvre sur une apparente certitude : tout coïncide. Mais très vite, cette certitude s’effrite. L’auteur expose, sans insister, que toute évidence n’est qu’un cache-misère. Une rustine. Ce mot revient, obsessionnel. Il dit l’inconfort, la fuite, le colmatage. L’impossible solidité de la pensée. Ce que je perçois ici, ce n’est pas un doute, c’est une **conscience du bricolage intérieur**. Une lucidité presque trop vive. Trop blessée. Le langage est suspect, le sens est suspect, la logique elle-même n’est qu’un habillage. L’auteur le sait. Il en joue, doucement. Et pourtant. Il continue à vivre. À aller acheter son pain. Le moment final me bouleverse. Il y a quelqu’un d’autre. Un tu. Un être croisé par hasard — ou plutôt dans une **anti-coïncidence** qui redonne chair à l’évidence. Il ne s’agit plus de raison, de vérité, d’opinion. Il s’agit de reconnaître un autre dans un geste banal. Et ce geste devient le **lieu exact de la faille et de la consolation**. Comme une rustine posée avec tendresse. Peut-être est-ce cela, le soin de soi : ne pas chercher le vrai, mais accepter les coïncidences qu’on fabrique.|couper{180}

Autofiction et Introspection