ostinato

maintenant ça me revient. Mon père dans le couloir entre le salon et la chambre à coucher, chez lui, dans sa maison de L. Il parle, je ne sais plus ce qu’il dit mais je vois sa bouche s’ouvrir et se fermer et, à l’intérieur de cette bouche, l’absence de dents, d’où cette voix étrange que je reconnais à peine. Hier je me suis regardé dans la glace de la salle de bain et j’ai ouvert la bouche. Constat bizarre, je ne sais même pas si j’éprouve de la tristesse, je ne crois pas que ce soit ça vraiment, non, plutôt quelque chose du genre : nous sommes pareils. Et, contrairement à ce que j’aurais pu imaginer hier encore, être pareil ne m’apparaît plus aussi monstrueux. C’est même apaisant d’une certaine façon. Ou encore je peux me dire tu n’es pas moins monstrueux que lui. Ni plus ni moins. Et en même temps de l’empathie. Peut-être que le silence des derniers temps est-il dû à cette gêne provenant de la disparition de ses dents. Et maintenant ça me revient, cette toute petite scène : il râle parce que l’appareil se décolle du palais, qu’il ne tient pas. Et cette phrase en écho entendue, une phrase que le dernier toubib que j’ai vu m’a dite : « vous savez, ça ne convient pas à tout le monde ces appareils, c’est souvent une affaire de salive ». À moins que je ne cherche encore à me rallier à quelque chose, à une idée d’appartenance familiale, héréditaire. À moins que je ne m’obstine à chercher encore et encore parce que trouver me déplaît fondamentalement.


J’écris de bonne heure car je serai dehors toute la journée. La journée bleue dans une commune voisine, des ateliers proposés au tout venant. J’imagine déjà toutes les stratégies pour ouvrir la bouche, sourire, rire le moins possible.