Ils me parlent. Je ne comprends rien. Ce n’est pas parce que je ne veux pas les comprendre. Je ne les comprends pas. Autrefois, il y a de cela bien longtemps, j’ai cru que je comprenais ce qu’ils disaient. Mais c’était une impasse. Il y a eu bien des malentendus. Tellement qu’au bout d’un temps, j’ai dû accepter le fait établi : je ne les comprendrai pas, même si je faisais des efforts, il manquerait toujours un petit quelque chose.

Ils disent : ceci est un banc. Un banc public. Ils sont deux assis sur ce banc. Je crois comprendre ce que signifie public. Public, c’est à tout le monde, non ? Alors je m’assieds. Ils me regardent m’asseoir. Leur visage se déforme, traversé par la peur de me voir m’asseoir.

Je donne un verre de sueur à la dame qui vend le pain. Elle refuse. Elle dit : donne ton fric ou rien. Elle a l’air triste en disant cela. Je le vois bien. N’y a-t-il donc aucune échappatoire ? Le fric ou rien ? je demande. J’ai des clients, elle répond.

L’homme qui collecte les impôts, le percepteur, intercepte une partie de mes émoluments. Parce que, dit-il, c’est comme ça, c’est la loi. Va y comprendre quelque chose quand c’est présenté comme ça. Il m’aurait dit : il faut que tu paies pour ne pas crever comme un chien dans la rue, ou pour savoir écrire une phrase sans faute, peut-être que j’aurais mieux compris. Mais moi, quand je ne comprends pas, je me cabre. L’homme qui collecte les impôts, s’il se réfugie derrière la loi, ne me sert à rien.

J’irais bien voter si voter pouvait changer les choses. Mais là aussi je ne comprends pas grand-chose. J’ai cru comprendre, jadis, qu’on votait pour quelqu’un qui défendait des idées. Mais en y regardant mieux, à deux fois, ce sont des privilèges qui sont préservés, pas vraiment les gens.

J’ai cru qu’il fallait vivre, vivre une vie bien remplie. Et au final, je me suis retrouvé avec des tonnes de souvenirs qui ne me servent à rien. J’essaie désormais de m’en débarrasser : ne plus penser à rien, devenir amnésique, ne plus parler de rien.