L’ascenseur était en panne, six étages à grimper. Elle parlait, moi j’écoutais à moitié, le souffle court, déjà mal à l’aise d’être devant elle, de savoir qu’elle allait entrer chez moi. Elle avait apporté des sandwichs, comme si c’était prévu depuis toujours.

Elle a posé le sac, retiré son manteau, s’est assise sur le canapé comme chez elle. Moi debout, invité dans mon propre appartement. Elle a tapoté le coussin, j’ai obéi. On a mâché en silence, parlé du temps, n’importe quoi pour ne pas dire ce qu’on faisait là.

Puis elle a lâché son sandwich, sa main a saisi ma nuque. « Embrasse-moi, idiot. »

Le baiser a duré. Trop longtemps. Ma langue en crampe, mon souffle retenu. Effroi et excitation mêlés. J’avais l’impression qu’en l’embrassant nous suspendions le temps, qu’on n’aurait plus à parler, qu’on pouvait se taire enfin. Elle me serrait, je restais raide, prisonnier de mon propre corps.

Son parfum montait, saturait l’air, recouvrait mes murs, mes livres, mes vêtements. Odeur étrangère, violente, qui me chassait de chez moi. J’étais ailleurs, exilé dans mon appartement.

Elle a souri, clin d’œil étrange, puis la montre, le manteau, le sac repris. Elle a dit « je t’appelle vite ». Elle a disparu dans la cage d’escalier.

La porte refermée, il ne restait rien qu’un parfum. Plus fort qu’elle. Plus fort que moi.