Notule 53


réecriture

Le contraste, c’est la différence de valeur. Entre clair et obscur. Quand l’écart est net, le regard s’accroche. Quand il s’efface, tout se confond. En peinture, on distribue ces écarts sur trois plans. Devant, au milieu, au loin. Le tableau gagne de la profondeur. Cela vaut pour la figure comme pour l’abstraction. Dans la vie, que mettons-nous au premier plan ? Quelles valeurs portons-nous devant nous pour qu’elles percent l’écran de ce que nous appelons la réalité ? Beaucoup ne voient qu’un plan. Le plus proche. Le plus pressant. Et seulement quand ils y sont acculés. S’il fallait peindre une vie, j’y mettrais d’abord le nécessaire : se nourrir, durer, se protéger. Ce plan-là a des contours fermes, une lumière crue. Vient ensuite ce que j’appelle le milieu : on s’écarte un peu de l’urgence, on estime une durée, on dessine des projets, on tente un demain. Enfin, le lointain. Les écarts s’y atténuent, tout y devient plus doux, plus incertain. Un peut-être. Un presque rien. Ces trois plans tiennent ensemble. On ne retranche pas l’un sans que tout s’affaisse. Cézanne l’a dit : quand les plans s’effondrent, il ne reste que la boue. Comment prendre assez de recul pour voir l’ensemble ? Peut-être, tout à la fin, juste avant de quitter la scène. Mais alors, rien ne peut plus être corrigé. On n’entre pas chez Turner avec un petit pot de rouge pour relever une bouée. Tant qu’on pense en durée, on est tenu par elle. Il faut pourtant se tenir droit, rester aligné. Savoir que tout cela n’est qu’illusion passagère, qu’un rêve qui se défait. À ce moment-là, si quelque chose encore nous est donné, on reprend les valeurs, on ajuste les contrastes mal posés, on tente de rétablir une profondeur lisible. Ce ne sont pas les couleurs qui comptent, mais leurs valeurs. Ce fil ténu entre précision et flou, proche et lointain, dicible et indicible. En récit, on parle de personnages contrastés. Intentions qui s’opposent, conflits qui travaillent en sourdine. On ne dit pas tout. On laisse venir les indices. Souvent, je l’ai vu, les femmes regardent au-delà du premier plan. Elles se tiennent dans le projet, dans l’avenir, même si le regard se trouble. Mais à vivre avec un caractère heurté, tout devient prévisible, puis lassant. L’espérance s’use. Mes parents, je les ai perçus ainsi. À la fin, presque plus de mots. Plus de plan sur la comète. On attend l’inéluctable. On cherche encore à produire une différence entre ce qui fut et ce qui n’est plus. On cherche, et c’est peut-être cela, vivre.

Annexe

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