Mai 2024
Carnets | Mai 2024
19 mai 2024
Autre approche, indienne ? Nous formons une grande famille. J’avais l’impression que ça commençait comme ça. Mais non. La musique était la même, mais les paroles avaient changé. Nous devions être dans une de ces entreprises, avec des bureaux à perte de vue, des couloirs tapissés de moquette, exhalant cette odeur caractéristique de pieds et de graillon. N’y avait-il pas un restaurant grec au rez de chaussée , un de ces kebabs où les frites sont plongées dans une huile rance, répandant des effluves entêtants ? Maintenant, les souvenirs reviennent par bouffées, avec un arrière-goût de mouton grillé. Nous formons une grande famille. C’était dit sur un ton morne, à la Snoopy sur son toit sa niche. Paupières lourdes, lèvres tombantes, ventre débordant de la ceinture, mais chaussures bien cirées et raie impeccablement tracée. Ma mère disait souvent, ou était-ce ma grand-mère, qu’un homme se jugeait à la tenue de ses chaussures et de ses cheveux. Je ne sais plus dans quel hall, quel open space, quelle salle de réunion. Et les vitres, derrière lesquelles je cherchais désespérément un point d’accroche pour m’évader loin, très loin. Nous formons une grande famille. Les musiciens avaient remballé leurs instruments, la salle de bal se vidait. Je redescendais de l’estrade après m’être égosillé sur « Be-Bop-A-Lula » : « Be-bop-a-lula, c’est mon bébé d’amour… ». Je ne sais plus si c’est à ce moment-là que j’ai rencontré V. Elle était blonde, cheveux longs, regard effronté et possédait tous les atouts nécessaires comme on disait en ces temps-là. Nous avons traversé la rue pour aller au bistrot. Tout s’achève au bistrot. Les naissances, les enterrements, et tout ce qui se produit entre les deux, de l’étonnant au désespérément banal. L’odeur de vin blanc limé et de tabac froid. On fumait encore partout en 1976. Je revois ma tête dans le miroir, une cigarette au bec, les cheveux en bataille, jetant un regard oblique vers les seins de V. On a vite sympathisé, l’ennui aidant, lors de ce bal en pleine campagne, près de Saint-Amand-Montrond. Ensuite, nous avons roulé sur une vieille « bleue », elle avait passé ses bras autour de mes hanches, appuyé son menton sur mon épaule. Mais la seule sensation qu’il me reste est celle de la dureté de ses tétons, alors que nous empruntions de petites routes jusqu’à la maison de sa mère. Il devait être très tard. En arrivant, nous avons eu l’impression de déranger. Il y avait un gros paysan rougeaud, débraillé, près de la maman tout aussi mal habillée. Quelle rigolade intérieure. « Tu arrives tard, je ne t’attendais plus. Bonjour jeune homme, voulez-vous un verre de limonade ? » Puis je suis reparti avec ma vieille bleue. Les histoires de famille, ce n’est pas vraiment mon truc. C’était une chaude nuit d’été, les étoiles ponctuaient le ciel. Je me répétais « c’est la nature, c’est la nature », pour me rassurer ou m’effrayer de quelque chose d’indéfinissable. Nous formons une grande famille. Cette fille, je ne l’aimais pas. Je crois que c’était par convention que j’avais accepté de sortir avec elle. J’avais la sensation d’avoir une huître au bras. Elle était molle, cendreuse, avec une carapace d’enfance encore luisante d’algues et de varech. Parfois, l’idée de mollusque se mêlait à celle de l’ectoplasme. Puis j’ai rencontré sa mère et compris que cette pauvre fille n’avait jamais eu la moindre chance. Sa mère travaillait pour une grande marque de cosmétiques, ce qu’elle mentionnait dès les premières paroles. L’aura de luxe associée au nom de la marque n’avait aucun effet sur moi. Elle semblait heureuse, ou soulagée, que sa fille-huître ait trouvé un garçon-anguille. Elle déclina toute une série de substantifs pour évoquer tout ce qui rampe, serpente, s’insinue. C’était la première fois que je voyais un brin de rose sur les joues pâles de sa fille qui, à ce moment-là, levait les yeux au ciel. Cette grande dame , férue d’occultisme, avait invité quelques voisines pour une séance de spiritisme. Toutes du même tonneau, les parfums capiteux se mêlant à ceux plus fruités et épicés. Le guéridon se mit à bringuebaler, un pied inconnu frôla mon mollet, puis s’y attarda tandis que je voyais ma compagne méléagrine s’enfoncer dans le mutisme le plus profond. L’excitation était presque palpable. L’esprit dut dire quelque chose d’incongru tout commença à se figer comme de la gelée . Un air glacé envahit la pièce et j’eus la sensation que le temps s’était arrêté. Nous étions tous pétrifiés sous des kilomètres de glace pilée. Le paroxysme de la soirée avait été atteint. Il était tard. On m’invita à dormir sur un petit canapé sur la mezzanine. Je ne fermai pas l’œil de la nuit. Des bruits étranges se promenaient de pièce en pièce. Vers trois heures du matin, une porte s’ouvrit et je vis la mère de mon amie surgir de l’obscurité vers la pénombre en nuisette transparente. Je fermai les yeux, feignant de dormir. Je sentis son parfum de luxe quand elle pencha son buste au-dessus de mon visage… Puis le contact d’une main sur mon sexe. Au matin, je crus avoir rêvé, les conventions étant d’un grand secours dans ces moments-là. Nous prîmes le petit déjeuner en silence, puis je repris mon vélo pour rentrer chez moi. Mon père était déjà parti au travail, ma mère épluchait des légumes sur de vieux journaux. Je retrouvai tant bien que mal mes marques. Quelques jours plus tard, je décidais de ne plus fréquenter les coquillages et de m’éloigner du luxe le plus possible. Nous formons une grande famille. Souvent, j’ai ressenti cette désagréable sensation d’être à l’avant-garde, une pointe de flèche, avec l’impression que des milliers de personnes derrière moi espèrent que j’achève quelque chose qu’elles ont laissé inachevé. Être à la pointe de ce désir inassouvi me fait penser à la petite barque qu’on aperçoit à peine dans le tableau Hokusai, La Vague. Accablé par la force des éléments et des vieux désirs cherchant à se renouveler de génération en génération, mais succombant à leurs nécessités obscures. Dès mon plus jeune âge, j’ai ressenti le poids des générations précédentes comme une responsabilité à endosser, un costume du dimanche aux manches trop courtes. Orgueil et vanité de la jeunesse, sensation d’une très haute importance et les ravages qui l’accompagnent. Pour contrer cette pression, je me suis inventé une origine parallèle : un univers d’amphibiens baignant dans des lueurs bleutées, provenant forcément d’une galaxie lointaine, un Éden. Souvenir de baignades dans des océans amniotiques où le féminin joue un rôle primordial, avec toute son ambiguïté, capable de receler autant d’horrible que de merveilleux. Parfois, au fond de mes rêves, je parviens presque à franchir la porte secrète menant à ces souvenirs immémoriaux. Je la retrouve alors, cette moitié qui est à la fois mère, amie, amante, capable de prodiguer la vie autant que la mort. Mais je remonte encore plus loin, car je ne me satisfais jamais de rien, il m’en faut toujours plus, le désir reste inassouvi. Alors, je découvre l’entité source dans sa plus extrême solitude. Elle a la forme d’une roue qui tourne en tout sens sur elle-même, une particule ontologiquement seule. Je m’assois en ce lieu sans espace ni durée, et j’observe la scission de l’Aleph, la naissance des chiffres et des lettres, le commencement du temps et de l’espace, la genèse de l’infini, en en mesurant toute la nécessité, l’exigence, l’effroi et la beauté. Puis, au réveil, je me retrouve dans la peau de ce petit être misérable, juste un point minuscule inscrit sur une longue ligne sinueuse.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
18 mai 2024
Trouvé les deux tomes Pléiade des œuvres complètes de Nerval. Mais le formatage du document numérique n’est pas terrible. J’ai revérifié le document original dans Foliate, il n’était déjà pas terrible, le convertir en Epub via Calibre n’a rien amélioré. Ce qui provoque des efforts de déchiffrage car les lettres de certains mots sont en désordre. Mais pour ce que je veux en faire ça n’a pas trop d’importance. J’utilise le CTRL F et je pioche au hasard. Répéter le mot terrible deux fois, trois avec celle-ci. Il faut un désabusement formidable vis à vis de toute fiction telle qu’elle nous est brandie, avec son cortège d’implémentations moralisatrices, religieuses, philosophiques, scientifiques, raisonnables en fin de compte, tellement raisonnables, pour qu’on ait envie de se détourner de toute fiction de ce tonneau là. Cependant ce que l’on fabrique en désirant la contrer est aussi une fiction à n’en pas douter. Une fiction à notre convenance ? La vérité est une fiction d’une fiction. Ces moments que l’on peut à tort considérer comme du désespoir quand on est jeune ne sont rien à côté de cette sorte d’indifférence envers toute forme de désespoir apportée par l’âge, la déception d’avoir vu une vie s’écouler aussi rapidement que se vide une baignoire. C’est une indifférence nécessaire, car si on commence à s’écouter on sait d’avance qu’on n’entendra plus que ça de la journée. Cela viendra de toutes les bouches de toutes les lèvres, de tous les regards, de tous les murs. Comment vous qui fûtes un dieu immortel, vous vous seriez donc réincarné en humain, mazette, quelle foutue chute, c’est ce que vous disiez hier encore. La chute la seule c’est tout simplement ça. L’orgueil même celui des dieux ne vaut pas tripette pour l’impassible étoile. C’est simplement une affaire de temps. On n’a pas le temps de trop s’appesantir qu’il est déjà temps de repartir. C’est pour cela que les véritables choses il ne faut jamais les dire, pour se donner une chance de futur. Je peux parler en connaissance de cause, j’en ai tellement dit, mais ce n’était rien, un nuage d’encre et pffuittt la pieuvre a déjà déménagée. Lire Nerval est bien charmant comme désuet, comme Lovecraft, comme beaucoup d’autres des temps anciens. C’est l’astuce que l’ironie a trouvée pour qu’on ne les lise pas justement. Leur style nous extirpe d’une facilité de langage comme d’un pensée confortable. Alors que tout est déjà là écrit noir sur blanc. Et, bien sûr on croit qu’on va dire quelque chose de différent, mais c’est la même chose, et souvent accompagné des puanteurs des exhalaisons de l’air du temps. A quel niveau s’abaisser vraiment pour passer sous la mitraille, survivre à cela. Un bon refuge serait la poésie bien sûr. Et soudain j’entends la voix de la doublure de Stephen King évoquant la poésie brumeuse de ses camarades d’université, et bien évidemment, j’ai des frissons dans le dos. On peut s’hypnotiser tout seul avec des mots, puis le réveil sonne, la baignoire est vide.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
17 mai 2024
des bribes de notes sans conviction au sujet de la proposition en cours de l’atelier d’écriture. Des flashs d’un feuilleton télévisé en noir et blanc, « Sans famille ». Et tous ces souvenirs qui remontent. D’abord la question de savoir si je suis un enfant adopté, puis si on va me vendre à un montreur d’ours. Déjà une imagination plus que fertile. La question étant de savoir s’il peut vraiment y avoir de la fumée sans feu. Si l’imagination sert à quelque chose, à part passer le temps, elle doit aussi servir de bouclier, du moins je l’envisage ainsi désormais. Une sorte de protection contre la banalité du mal. En fabriquant un mal parfois encore plus gigantesque, plus effroyable, c’est à dire un mal spectaculaire. Pendant qu’on passe du temps ainsi à s’effrayer du produit de sa propre imagination, on s’angoisse peut-être moins de tout le reste. A moins aussi que ce ne soit qu’un phénomène de vase communiquant. Je n’arrive toujours pas à me décider pour faire cet exercice le plus simplement du monde, c’est à dire prendre la première famille qui viendrait, la décréter instance et à cheval sur mon bidet. Non je n’y arrive pas. Peut-être que je repousse. L’instant je le repousse aux calendes grecques. Bref je n’ai pas envie de me fourrer dans cette affaire. Du coup je préfère comme d’habitude le retrait. Quand je serai à la retraite peut-être que je pourrai m’y mettre, comme d’autres décident de se mettre au puzzle, à la pèche à la ligne, au vélo, à la sieste. C’est dans pas bien longtemps, mais ça doit faire deux ans que je dis ça. C’est aussi une marche d’approche fameuse pour parvenir à la retraite sans qu’elle devienne une Bérézina. Suffit de glisser sur la savonnette sous la douche et hop là, Waterloo morne vol plané. Je dis n’importe quoi comme quand je peins, aujourd’hui j’ai fait par exemple deux tableaux uniquement avec cette technique. Elle aura fait ses preuves. Je ne comprends décidément pas mes élèves lorsqu’ils se plaignent d’arriver à rien, de faire n’importe quoi. Au moins ça ne ressemble à rien d’autre non ? C’est ce que je dis, mais il n’ont pas l’air de goûter toute la subtilité de cette remarque. Au moins je continue imperturbablement à scanner mes vieux négatifs argentiques. J’ai retrouvé toute une série d’images de P. avec son chien, comment s’appelait-il déjà … et bien ça je l’ai oublié. Dans le fond je suis assez heureux de voir que je suis parvenu à oublier pas mal de petites choses. Ah oui, toute cette histoire à propos de l’imagination, il ne faut pas que j’oublie de dire quelque chose à ce sujet. Il faut que je parle de ces visions qui me tombaient dessus deux ou trois fois par jour et qui me faisaient perdre complètement pied. Je crois que j’étais parvenu à les voir arriver juste un peu avant qu’elles ne déboulent. Juste le temps de m’isoler, de m’écarter des autres suffisamment pour qu’on ne s’interroge pas sur mon comportement étrange. Donc la vision arrivait par une certaine qualité de lumière , la vue ne se brouillait pas, mais tous les plans s’enchevêtraient, il n’y avait plus de profondeur de champ. Je n’ai jamais trop parler de ces visions, je crois que je n’en ai jamais parlé du tout. Si je n’en ai pas parlé c’est que j’avais peur de les oublier complètement je crois. Ce qui me fait penser par ricochet à tout un tas de choses dont je n’ai encore jamais parlé dans ce journal, , ni à personne dans la vraie vie. Il y aurait comme une sorte d’instinct de préservation là aussi. Une peur de perdre quelque chose d’important, même si toute notion d’importance semble nous avoir abandonné, celle là non. Le bon moment. Attendre le bon moment. Y a t’il vraiment un bon moment. Pour que je les écrive ces visions, que je m’en débarrasse d’une certaine manière, en beauté si possible. Peut-être que c’est ce mot, la beauté qui me fait prendre parfois un certain retard. Ce ne sera jamais assez beau bien sûr, ni aussi effroyable que ça le mérite. Parvenir à trouver l’harmonie entre les deux, un poème.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
16 mai 2024
Encore un peu de recherche sur la proposition 3 de l’atelier d’écriture,( comme je l’ai dit dans la j.257) Je suis venu jusque ici avec le mot compagnie. Dans mon esprit, ou souvenir, assez secrète et enfantine, telle est pour tout ce qu’il m’en reste et par exemple : la compagnie de Jéhu. Certainement dans un feuilleton entrevu à la télévision. En noir et blanc. Ce qui rend le contraste encore plus fort et l’absence de nuance notable. Beaucoup de noirceur. Je mélange cette compagnie là avec plusieurs autres et en toute insouciance, puisque comme je l’ai déjà dit, rien, rien de rien n’est plus semblable ici à une compagnie qu’une autre compagnie. Ainsi, la compagnie des Chemins de Fer, les compagnons de la Chanson, la compagnie des auteurs, la compagnie républicaine de sécurité, la minière, celle des Indes, toutes, à cet instant précis où j’écris le mot compagnie, toutes se valent. C’est probablement une erreur logique mais certainement pas de vocabulaire ni de syntaxe. Pourquoi soudain la compagnie de Jéhu, la fameuse « terreur blanche » tellement contre révolutionnaire sinon à cause de Charles Nodier et Alexandre Dumas, dont j’ai hier rangé quelques ouvrages sur une étagère. On croit que Jéhu, enfin moi je le crus enfant, que c’est une sorte de déformation du nom Jésus. Or d’après Nodier il s’agirait plutôt de ce Jéhu étant, comme on sait, un roi d’Israël qui avait été sacré par Élisée sous la condition de punir les crimes de la maison d’Achab et de Jézabel, et de mettre à mort tous les prêtres de Baal4 ». ( je laisse l’entièreté des liens au cas où l’envie me prenne de les suivre un de ces quatre) La marche d’approche nécessaire à l’élaboration d’une nouvelle me laisse mi figue mi raisin. En fait je ne suis pas sûr que ce n’est pas ce que je fais déjà sans le savoir. Des marches d’approche à la pelle et ce depuis des années. Monsieur Jourdain se frappe le front. Je faisais donc de la prose sans le savoir. Mais comme c’est bien, comme c’est rigolo de visionner le zoom. On se croirait tout à fait dans mon atelier de peinture. Le pour, le contre. Entre les deux un ange passe. C’est qu’ils voudraient sans doute une nouvelle vraiment nouvelle comme chez moi ils veulent des chefs d’œuvres vraiment chefs d’œuvres. J’exagère ? à peine. Je cherche une famille. Je n’en trouve pas. Pour régler cette affaire de famille suis bien en peine. Non que je soies sans famille du tout, j’en ai encore quelques bribes par ci par là et aussi celle du côté de mon épouse. Mais une habitude d’indifférence ou plutôt l’acceptation finale de ne jamais me trouver viable au sein de n’importe quelle famille m’ayant contraint à cette indifférence, me bloque dans l’exercice. C’est comme Nerval qui promet son histoire de livre ou d’Abbé à son éditeur et qui ne les trouvent pas. Il explique en feuilleton qu’il ne les trouve pas. Comme c’est charmant. C’est comme ça peut-être, par ce genre de marche d’approche qu’on s’approche du moment de secouer le cocotier. « Bardamu me sciait le cul ! Ferdinand taillait à tous des costards pure haine, il secouait tellement fort le cocotier que tous les clichés dégringolaient, il foutait le feu aux poncifs, chiait dans la colle et s’essuyait aux bégonias. » — (Émile Brami, Louis-Ferdinand Céline : « Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple », Éditions Écritures, 2003, page 293) S’inventer une famille. J’aurais certainement encore bien du mal à le faire ; c’est parce que je l’ai déjà beaucoup fait. Tellement fatiguant rien que d’y penser. Mettre en mot l’indicible même sous l’angle le plus bienveillant possible, éreintant. C’est certainement un beau sujet à creuser, la fatigue du mensonge, et l’infranchissable mur d’enceinte d’une hypothétique vérité. Bien sûr changer les noms, brouiller les pistes, ça peut. Mais moi je sais toujours ce qui se cache sous l’invention, ou du moins ce que je veux dire c’est qu’inventer ne résout rien, laisse la plaie dans sa plus grande béance, l’accroît même. Ou la croit semblable parce que tout simplement le même s’impose de façon systématique. J’ai bien sûr aperçu d’autres familles. L’illusion ou le souhait ardent me conduisant à souhaiter, à m’illusionner qu’elles soient mieux que celle que je connaissais m’aveugla tout autant que la déception, l’effroi, la tristesse de constater ce que fut la mienne. En suis-je parvenu à force de tâtonnements, à penser que toutes les familles se valent, à m’en convaincre surtout, c’est bien possible. Je ne suis pas certain de ne pas abandonner cet exercice tout simplement. Décrire des choses au travers de l’instance d’une famille ce serait essayer de passer un fil à travers le chas d’une aiguille sans lunette et en comptant sur la chance. Or la chance se prépare, je n’ai rien préparé, suis pris au dépourvu. Est-ce que pour autant je hais la famille, non. Elle ressemble plutôt à l’un de ces vieux exercices de mathématique qu’on laisse en plan, n’arrivant pas le résoudre. Dehors il fait beau, on n’a pas envie de rester enfermé, on referme la cahier, on court vers la porte, on dévale le grand escalier, on touche enfin la terre ferme, et on prend les jambes à son cou.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
15 mai 2024
Atelier d’écriture, la fameuse proposition 3 de la boucle 2. A propos de la démarche de Gertrude Stein. J’ai tout d’abord essayé de lister les différents processus qu’elle utilise comme la répétition, la fragmentation, le flux de conscience abolissant la structure et la ponctuation traditionnelles, l’effacement des frontières entre sujet et objet, surtout visible quand G.S. décrit les interactions et similitudes entre les personnes, l’exploration de l’identité dans ce quelle peut contenir à la fois de commun et d’unique, l’oscillation entre l’abstraction et le concret, l’utilisation de la syntaxe si personnelle qui veut rendre compte de l’absence de linéarité de la pensée, les différents angles avec quoi elle présente ses personnages, en utilisant notamment la comparaison ce qui crée des images plus nuancées et complètes des individus tout en soulignant les thèmes de similarité et de différence ; A propos de l’usage de la répétition, « Depuis le début, tout ce qui vit est pour moi de la répétition » dit-elle (Au moment de parler de Martha Hersland… » Je suis tout à fait d’accord avec l’irritation qu’elle évoque. La répétition subie est un réel problème. Dans ce cas utiliser cette répétition pour exorciser la répétition est une démarche plutôt intéressante. Ne l’ai-je pas expérimenté mille fois. Dans tous ces boulots alimentaires notamment, où chaque journée se ressemble, où chaque parole échangée avec les collègues de travail est la même qu’hier et semblable demain. Cette sensation d’être coincé dans une effarante bouche de répétitions perpétuelles, nous avons deux façons de l’appréhender, en la subissant, comme une donnée incontournable de l’existence, ou de l’être, quelque chose d’ontologique, contre quoi nous ne pouvons rien, qui sera toujours beaucoup plus forte que notre individualité ou soit nous pouvons chercher, à travers les micro changements dans lesquels s’opère la répétition, une fluctuation subtile, peut-être une poésie. Et la trouver ou l’inventer est du domaine des petites victoires personnelles contre l’apparence, le réel, le commun dans ce que ces mots recèlent de définitif la plupart du temps, pour la plupart d’entre nous. Il y a ainsi une sorte de jeu à se servir de la répétition contre la répétition, à l’amener à une fréquence de subtilité qui ressemble à un nouveau monde. Découvrir la possibilité d’user ainsi de la répétition est une découverte de l’Amérique, tout aussi excitante que la véritable découverte de l’Amérique. A n’en pas douter. Toutes les familles sont rangées sous l’appellation famille, c’est un fait. Rien ne ressemble plus au mot famille que le mot famille. Le groupe n’est pas du même ordre, mais rien ne ressemble plus à un groupe qu’un autre groupe au sein même d’une phrase. Il y a de ces mots communs qui irritent tant ils sont communs. Ils irritent, puis ensuite, personnellement, ils me fatiguent. On est bien obligé d’utiliser ce matériel commun, de le secouer dans tous les sens pour examiner ce qu’il en ressort. La plupart du temps il est fatiguant de constater qu’il n’en ressort que du commun. Est-ce que ce qui est véritablement fatiguant et irritant c’est notre fantasme de vouloir dégager quelque chose d’autre du commun, de l’individuel, c’est possible, et alors, dans ce cas, c’est cette confrontation permanente entre individuel et commun qui est la source de l’irritation comme de la fatigue. Pour écrire j’utilise souvent cette possibilité du flux de conscience, une idée surgit et je l’écris, je ne sais même pas si je vais aller au bout de cette idée car déjà une autre se greffe sur la première et je la suis tout à fait de bon cœur, je préfère dire de bon cœur que servilement. Enfin je n’ai pas l’air d’être attaché à une idée, j’ai plus l’impression d’être traversé par toutes ces idées, de manière assez passive en apparence mais je préfère dire accueillante, il faut bien le dire. Les difficultés de ponctuation traditionnelle ou de logique structurelles ne me paraissent pas suffisamment importantes pour que je préfère m’y attacher, je suis plutôt ce flux de conscience, cette répétition qui ne cesse de s’écouler sur le papier, mais aussi toute la sainte journée dans mon esprit. Ainsi je tourne autour de cette proposition d’écriture exactement comme Gertrude Stein tourne autour de son personnage : Martha Hersland. Moi j’écris : Je vais vous parler de la famille, mais avant de vous parler de la famille je vais vous dire comme j’en suis venu à me dire qu’il serait souhaitable que je vous parle de la famille. Comment c’était aussi souhaitable que désespérant, avec toute la gamme des poncifs des clichés des répétitions de l’un à l’autre. J’en suis venu à me le dire lorsque j’ai découvert à quel point la famille, ce mot est un mot irritant et fatiguant, un mot commun si commun que j’ai toujours éprouvé un mal de chien à ne pas le laisser glisser comme la plupart des gens dans le commun. A désirer en faire quelque chose d’individuel, d’extraordinaire même, d’effroyable vraiment ou de merveilleux autant que possible. Puis vient la question de savoir si c’est du lard ou du cochon, évidemment. Est-ce que ce que j’écris plus haut à quelque chose à voir avec cette proposition d’écriture, ou pas du tout. Est-ce que c’est bien, pas bien, est-ce que c’est noir ou blanc etc . Binaire , comme d’habitude Ce qui me fait penser que la répétition est une chose, mais que la peur de la répétition est une autre chose.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
14 mai 2024
La nuit à Paris, ces longues marches qu’il faisait la nuit dans Paris, il cherchait quelque chose, je crois que c’est ça, il cherchait quelque chose mais ce n’était jamais ça. Et même quand ça s’en rapprochait, ce n’était pas ça. C’était ça qui le faisait marcher la nuit dans la ville, il essayait de savoir ce que ça pouvait être. Il photographiait au petit bonheur la chance, à vitesse lente, souvent en dessous du 15 ème de seconde, il imaginait que ça avait quelque chose à voir avec le temps, qu’à basse vitesse il y aurait plus de chance, que ça pourrait se retrouver emprisonné dans la celluloïd, nitrate de cellulose, camphre, sels d’argent. Je me souviens que de cette méthode il était assez fier, c’était sa méthode à lui. Personne ne s’amusait à gâcher du film ainsi. En général la plupart des gens savaient ce qu’ils voulaient. C’est ce qu’il pensait. Il ne se posait pas la question de savoir s’il pensait à tort ou à raison ce genre de chose. Les gens savaient toujours mieux que lui ce qu’ils voulaient. On leur avait suffisamment préparé le terrain pour savoir ce que l’on était sensé vouloir ou pas. D’ailleurs pour en revenir à la photographie, une bonne photographie nécessitait certains critères, composition, valeurs, contrastes, sans oublier l’essentiel : un sujet, un thème, un prétexte. Mais lui je crois qu’il s’en fichait de ces critères là, il cherchait quelque chose d’autre, et qui n’avait rien à voir avec ça, avec ces choses là. Il désirait ardemment quelque chose, dans la nuit, dans le noir, sans trop de lumière si possible. Je ne me souviens pas qu’il eut envie de composer avec tout ça, pas plus que de mettre de l’eau dans son vin. Pour lui c’était un ensemble. Voilà, je crois que c’est ce mot là, un ensemble, le fait de sortir la nuit, de marcher dans la ville, de ne pas savoir où aller, et de temps à autre, à vitesse basse appuyer sur le déclencheur au petit bonheur la chance. Il ne savait pas si c’était ça, il faisait tout pour que ça ne soit pas ça. Et au bout du compte, mais longtemps après on se rendit compte, toute la bande qu’il n’avait pas si tort que nous le pensions. En fait c’était ça, on ne pouvait pas voir à ce moment là. Voilà pour l’effort littéraire. Faire des efforts un peu chaque jour jusqu’à ne plus en faire. Encore une méthode. Mais elle ne lui appartenait pas, elle se transmet de génération en génération cette méthode, elle a fait ses preuves. Et pas qu’un peu. Hier encore des palabres incessantes concernant l’atelier de peinture à C. Aucune envie de me justifier. Parfois j’ai cette sensation étrange de me retrouver crucifié, mais évidemment, pas en tant que J.C, je ne suis pas cinglé à ce point là. Non un acolyte de Barabas plutôt anonyme, quelqu’un qui se serait fait prendre la main dans le sac et qui doit payer pour ça. On ne remet pas en question l’existence du sac, de la main, de l’acte, de l’interdit. et c’est pour cette raison qu’il faut des croix, des crucifiés, rien n’a changé sur ce point depuis le Golgotha. Ce que j’ai toujours un mal de chien à comprendre c’est la docilité avec laquelle la plupart se couche au pied d’un maître pour lui mordre ensuite la main quelques instants plus tard. Comme si de façon binaire une logique en ressortait, une logique rassurante. Du coup je l’ai dit à haute voix, c’est venu d’un coup : tout ce qui est binaire m’emmerde, puis j’ai tourné les talons. Il devait pleuvoir, mais il n’a pas plu, j’ai baissé la vitre car il faisait même chaud, et j’ai écouté la proposition d’écriture sur la notion de famille, d’après Les américains de G. Stein. L’instance de la famille, je me suis posé la question. Où j’en suis sur ce sujet ? C’était plutôt douloureux, alors je me suis mis à rager contre la proposition en sourdine, puis je crois que j’ai songé à autre chose. Quoi ? je ne m’en souviens plus.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
13 mai 2024
J’ai rêvé d’une éponge pleine de trous, et presque aussitôt, une certitude étrange m’a envahi : tous ces trous étaient parfaitement alignés. Et j’imagine, à mesure que l’éponge se dilate, elle dessine une courbe impeccable, comme si chaque trou connaissait sa place, fixée par une règle invisible. Cette distance constante entre eux, c’est ce qui permet à l’éponge de grandir sans jamais se perdre. Est-ce que la vie ressemble à une éponge ou à une peau de chagrin ? Trouver la bonne distance avec les autres n’est pas une mince affaire. Trop proche, et on risque de se perdre soi-même ; trop loin, et c’est la solitude qui s’installe. Ma grand-mère estonienne parlait souvent du « juste milieu », et aujourd’hui, je pense comprendre ce qu’elle voulait dire. C’est un peu comme marcher sur un fil tendu entre deux tours : il faut un équilibre parfait pour ne pas chuter. Pour jouer au savant je pourrais dire que je retrouve un écho à ce que les bouddhistes appellent « la voie du milieu » – cette idée de balance, de ne pencher ni trop d’un côté, ni trop de l’autre. Peut-être est-ce cette règle secrète, cette distance jamais modifiée entre les trous de l’éponge, qui nous aide à nous dilater, à grandir sans disparaître. L’énergie noire pousse les galaxies à s’éloigner de façon croissante les unes des autres mais le rapport est conservé. Il faut un puissant télescope pour l’observer. Mais ma vie est tout à fait comme celle d’un univers, les choses s’éloignent, les souvenirs de ces choses également, tout comme la prise de conscience à étage de leur oubli ; mais le rapport, la relation de l’une à l’un de l’un aux autres , dans une partie secrète, mystérieuse de moi-même, restent inchangés. Est-ce que c’est ainsi que l’on maintient en soi le fantasme de l’infini comme celui de l’éternité ? E. ne mange presque plus rien, elle oublie de plus en plus et jusqu’à ces chers souvenirs de Marengo. Avons feuilleté un album photo, elle reconnaissait à peine les visages, heureusement que les légendes permettaient de s’y retrouver. Et comme à chaque fois les fils de la télé sont débranchés. C’est à cause de la lumière rouge, elle ne peut supporter l’idée d’un appareil en veille. Peut-être que ce journal ne devrait servir qu’à cela. Servirait-il à cela , il serait au moins utile. A se souvenir. Si je croyais au souvenir, il servirait à se souvenir. Téléchargé Je suis Providence de S.T. Joshi sur Anna’s archive que je peux désormais lire sur l’excellent Foliate découvert récemment sur les snaps de Ubuntu Rappel de quelques commandes de base : Installer un Snap : sudo snap install [nom_du_snap] Lister les Snaps Installés : snap list Mettre à Jour Tous les Snaps : sudo snap refresh Supprimer un Snap : sudo snap remove [nom_du_snap] Mais déjà beaucoup trop de matière. Voilà comment on invente un souvenir à venir. On ne se rappellera sans doute pas de cela dans moins d’un mois, mais de l’odeur de la pluie mélangée à celle que dégage parfois l’ancienne écurie, l’odeur des chevaux fantômes, tout comme parfois l’odeur du père quand je monte au grenier par l’échelle escamotable. Cette réflexion qui accompagne l’exercice, en profiter pleinement pendant qu’on peut encore le faire. J’avais déjà repéré que ce dont on se souvient le moins c’est ce dont on pense au moment où l’on y pense qu’il soit indispensable de se souvenir. Sauf que ce qui nous apparaît indispensable est souvent une posture issue de l’air du temps, de la digestion, etc etc. Intéressante réflexion sur l’idée qu’une phrase ne doit pas être émotionnelle, elle ne l’est pas, le paragraphe si. (G. Stein. how to write ) Et aussi l’emploi du terme bassin de vocabulaire. Ce qui me fait aussitôt associer petit et grand bassin à la piscine municipale de … ? La sensation désagréable de soupe tiède, ce contact de la plante pieds sur le carrelage, l’odeur de chlore, les peaux glissantes, semblable en cela à celles des anguilles, des poissons, poisseuses. Les mots qui nous échappent continuellement, les contenir un moment comme des carpes Koï. Les choses que l’on voudrait retenir, d’une seule journée, les mots et les choses, les trous filent à vive allure, mais toujours selon une constance mathématique. Tenir un rythme quotidien. Le tenir pendant quelques jours, puis ne plus le tenir, sentir qu’il nous échappe. Ainsi par exemple avant hier et hier je n’ai scanné aucun négatif noir et blanc. Et, en y pensant ce pincement, comme d’être pris en faute de n’avoir pas respecté un engagement. Sauf que je ne me souviens pas d’avoir pris le moindre engagement. Et donc je peux m’y remettre dès maintenant, à cet instant même. Encore des négatifs une bande prise depuis les hauteurs de Beaubourg, l’autre à Karachi. De quoi je me souviens à partir de ces images, de cette dernière notamment, d’une atmosphère, d’une luminosité particulière liée à la ville, les cris des oiseaux que nous entendions dès l’aube depuis la chambre, et très vite la chaleur. Mais, de cet instant particulier, cet instant où la photographie a été prise, pourquoi elle a été prise, rien du tout, c’est comme désirer viser à l’arc à côté dans l’espoir de toucher une cible en plein cœur. Commencé à remplir les « exhibits » directement sur l’hébergement, création de galeries par année… aucun texte, que des images, une sorte d’accumulation progressive, une marée montante, un espoir de la voir se retirer par la suite, pour voir les coquillages luisants sur le sable. Sur ce site, pas de contact, pas de like, pas de commentaire. Juste des images de peinture, un chantier. J’ai été tenté d’ajouter une section photographies, mais ce sera sans doute plus pertinent sur l’autre site, celui où je ne vais plus depuis plusieurs semaines|couper{180}
Carnets | Mai 2024
12 mai 2024
Bizarre, cette difficulté à passer de l’empirique au théorique, d’extraire le déduit de l’un vers l’autre, ou, autrement dit, plus simplement, de se défaire d’une habitude. Ainsi , tel geste dans un cadre associé inconsciemment le plus souvent à celui-ci, tel autre dans un autre et ainsi de suite, comme si l’environnement , le lieu, l’ambiance imposaient une manière d’agir, par la position physique qu’on occupe dans tel ou tel espace. Et c’est comme ça que je m’efforce de prendre conscience au moment d’écrire au clavier, de redresser le dos, de positionner les mains, de me recréer une nouvelle habitude. Ce qui n’est pas naturel, pas spontané, difficile encore. Comme un paysan déménage d’une région vers une autre, s’adapte peu à peu. Réussi ce matin de bonne heure à installer un nouveau néon dans la dépendance. La publicité vante 20% d’économie grâce à la technologie LED. Et puis plus besoin de starter. Que des avantages. Une petite victoire au bout d’une longue série d’échecs. Ce qui fait réfléchir à la façon d’aborder les victoires quand on en a perdu l’habitude. L’attention à leur accorder devrait se situer sur un niveau équilibré, ni trop peu ni trop. L’absence ou l’excès d’attention étant dans la zone d’erreur, ou de péché, c’est à dire une offense, ni plus ni moins à soi-même. Encore bien tarabiscotée comme réflexion. L’autocritique permanente si fatigante, à quoi sert-elle sinon d’écran à quelque chose qu’on ne veut pas voir. Et puis soudain on passe de l’autocritique à l’auto-compassion. C’est exactement comme ça. Système binaire. Système des temps actuels. On se rejette puis on s’étreint tout seul, pour combler le vide sidéral du monde qui nous entoure. Une sorte d’impressionnisme du vivant, de petites touches dans tous les sens qui finissent par donner l’impression de vivre. C’est comme écrire et peindre, on emploie les formes jusqu’au moment où on ne les emploie plus, tout simplement parce qu’employer est quelque chose de contre nature, on finit par sentir ça, que l’on est en dehors de la nature. Sa propre nature ? On effectue une incartade dans le néant, puis on revient très vite au pragmatique au concret, une sorte de va et vient, ou une danse, une transe de derviche. Que cherche t’on à travers tout ça ? On cherche quelque chose, voilà le hic. Enfin réussi à comprendre qu’il fallait charger les dossiers d’Indexhibit directement sur l’emplacement alloué par l’hébergeur, que ce n’était pas prévu pour être installé sur un serveur local. Encore une information utile. Le fait de partir bille en tête sur une idée sans même aller regarder sur les forums . Je reconnais là ce mélange de prétention et de bêtise, tout à fait nécessaire à tempérer mon génie naturel. Et cette pugnacité à creuser l’insondable si risible. On n’est pas vraiment romain si on ne se martyrise pas un peu. Il est même envisageable que certains foncent vers une crucifixion dans le seul but d’expérimenter l’au-delà, le paradis, l’enfer, et tout le tutti, sans oublier bien sûr la résurrection.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
11 mai 2024
Plusieurs fois que je refais l’exercice, puis l’efface, et recommence, et patati et patata, ça devient réflexe. Que ce soit en peinture, à l’écrit, ce ne sera jamais assez bien, ou trop prétentieux, ou trop ceci et encore tellement cela. Ce sont des périodes de patinage pas vraiment artistique à traverser. M’en tire vis à vis de moi-même ainsi, Charlot de dos, marche en canard, un cercle l’avalant peu à peu sur l’écran. Mentir ainsi. Je me mens tu te mens il ou elle se ment… nous vous ils ; Tout le monde s’en tire comme ça. Ou pas. De cette exigence qui vient d’un sombre recoin de notre obscurité d’andouille. Mais l’insulter ne la diminue pas. Au contraire. Elle se braque. Le projet Grimshaw est stoppé en plein vol. C’est difficile de mener de front plusieurs projets. Surement est-ce dû à une propension à la monomanie et , ou bien, en plus, ou à moins, très vite surbooké. Ou alors je deviens de plus en plus flemmard, ce qui n’est pas une éventualité à négliger, une propension très forte à la paresse, à l’oisiveté, m’accompagnant depuis toujours. La mère de tous les vices. Encore que je reprends mot pour mot ce que l’on m’a toujours dit. Je le reprends comme on parle d’argent content, quasi joyeusement, de peur que derrière cette facilité collective je découvre des abysses insondables d’inepties personnelles. Lorsque les écailles me tombent des yeux je rêve de poisson nageant entre deux eaux. Dernièrement j’ai découvert cette étrange possibilité d’allumer ou d’éteindre une ampoule à l’intérieur de mon crâne. Je vois toute l’horreur de l’hypocrisie de ce monde humain. Je suis dans le noir. J’appuie sur un interrupteur et voici : je me retrouve à Disneyland en train d’applaudir, d’hurler, de souffrir et de jouir dans le train fantôme. Ce qu’on appelle la vie. J’aurais pu le dire plus simplement en une phrase : ouvrir ou fermer les yeux. Sans sujet. Je ne me bats pas pour ceci ou cela, on me l’a reproché, on me le reproche encore, je ne suis pas ce genre de battant. Je me sens dépourvu de cette naïveté là. Parfois je le regrette. Les écailles tombent au ralenti, elles peuvent mettre parfois des mois, des années, des décennies, toute une vie. En attendant qu’elles tombent totalement j’essaie de gagner ma vie, du temps, de voler quelque chose à l’inéluctable, en vain. Depuis trois jours, je suis enfermé dans mon bureau à tenter de recréer un site d’artiste avec Indexhibit. Je n’ai pas choisi la facilité en restant sur Ubuntu, en ne maîtrisant rien des serveurs Lampp, et d’ailleurs des serveurs en général. Bien que la version 2 soit compatible avec PHP8.0.0 ( j’ai dû recompiler pour ça sans connaître les conséquences que ça pourrait engendrer au système dans son ensemble), fiasco et réussite se sont côtoyés puis fiasco a gagné. J’ai utilisé tout mon crédit journalier sur ChatGpt pour essayer de m’en dépatouiller, en vain. Puis je suis passé à la version de base qui m’a largement fait tourné en bourrique, alternant des solutions fumeuses avec des solutions débiles. Donc il va falloir que je réinstalle un Windows avec un Wampserver, pour tester différentes versions de php et Mysql. C’est cela ou réinstaller Ubuntu sur la machine avec le risque de perdre notamment les fichiers de configuration de mon antique scanner que j’ai eu tant de mal à créer ; Mais ces échecs finalement se superposent à tous les autres, fabriquant ainsi une sorte de double encore qui peu à peu sort de l’ombre. De là à songer que ma vraie nature est cette masse d’échecs, cette obsession de l’échec, une bête du Gévaudan inquiétante, terrifiante que je ne pourrai pas, cette fois, écrabouiller de toutes mes forces contre un mur enfantin. Il faut plutôt que j’aille chercher du petit bois, que je fabrique un feu, que je m’assoie à côté de la flamme, dans le disposition la plus aimable possible à voir surgir la bête et tenir en joue non celle-ci, mais toutes mes peurs. Une phrase tourne dans ma tête. On ne doit pas présenter ses gouffres à autrui. Elle me met dans tous mes états cette phrase. Plus bas que terre surtout depuis que je l’ai entendue. Mais aussi, comme je suis paranoïaque, je me dis qu’elle fait partie d’une conspiration plus vaste, que c’est une sorte de poison, de manipulation, de complot… Comme si le seul recours qui m’était ainsi proposé était de sombrer dans cette folie furieuse que serait le silence total, absolu. Pour aujourd’hui une photo ratée, complètement floue, une image qui illustre ce billet.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
10 mai 2024
ce qui vient, la toute première idée qui vient. Trop tard. Déjà envolée. Ensuite on réinvente une idée de remplacement, et ainsi de suite. Impossible de compter sur un petit carnet posé sur la table de chevet, et un crayon, et de compter sur la possibilité de noter la première idée qui vient. Ne pas déranger l’autre qui dort. Ou alors il faudrait s’extraire de la couette avec cette envie pressante d’aller noter dans l’urgence, l’effervescence, cette idée première. Prendre soin de refermer doucement la porte de la chambre. Allumer la lumière du corridor, faire un saut de carpe, ou ce genre de petit bond que fait Charlot, à moins que ce ne soit qu’un moulinet avec une canne. Et courir jusqu’au clavier, positionner ses index sur F et J et redresser ses lombaires afin de parvenir à la vitesse adéquate pour graver cette première idée dans le marbre. Trop tard. Encore loupé, la première idée finalement pourrait tout à fait être celle-ci, un homme veut noter quelque chose qui chaque matin lui échappe. C’est comme le mot au bout de la langue. Ensuite une fois que l’on est bien installé, les doigts semblent avoir acquis une sorte d’autonomie ; leur propre autonomie. Ce qu’ils disent n’est plus de la tête mais de plus loin. Je le voudrais bien, je voudrais bien y croire, voilà ce que dit la main pleine de doigts à cette autre main pleine de doigts. c’est encore trop de la littérature, voilà ce que dit la tête. Les doigts s’élèvent, restent un instant en suspens, puis se retire du clavier. Une main, disons la droite se rapproche dangereusement de la souris, la trouve, la manipule. tandis que l’autre main, la gauche monte vers le sommet du crâne, pour toucher l’occiput. Voilà nous y sommes enfin, une main sur la machine, l’autre sur l’os, ainsi s’effectue la navigation de ce jour. Je regarde dans l’historique du navigateur pour retrouver ce site que j’avais visité il y a de cela quelque jours dans le cadre du projet Elias Grimshaw. Les livres perdus. The lostbooks. L’auteur du site, Tim Boucher, se décrit comme artiste, bookmaker, et activiste IA. Que tu t’entendes bien avec toi-même à ce point du billet. Si tu places un lien ce n’est pas stratégique, c’est juste un nœud à ton mouchoir désormais. donc quelque chose d’intéressant. Une sorte de signal d’alerte qui secoue les neurones. Plus de 100 livres écrits avec l’intelligence artificielle, tous disponibles sous la forme d’ebook sur Gumroad. « Je vends mes livres uniquement sur Gumroad , pas sur Amazon. Amazon a trop de pouvoir sur l’édition (surtout indépendante), et l’hégémonie croissante des quatre ou cinq grands éditeurs fait que le secteur de l’édition professionnelle ne vaut pas la peine d’être défendu , à mon avis. Le pouvoir aux petits ! Nous pouvons trouver de nouvelles – et anciennes – façons de publier. » 1.99$ l’ebook en moyenne, avec des illustrations superbes qui rappellent les couvertures des années 1920 de Weird Tales. Ensuite, je regarde les dates de publication du dernier titre, février 2024 qui évoque la suppression de son compte Midjourney après un article rédigé sur son site concernant un biais de l’application IA permettant d’obtenir sans même le demander des images de femmes dénudées. Le sujet ne semble ne pas être le fait d’obtenir des images « choquantes » mais plutôt de ne pas pouvoir contacter le service client pour faire part d’un tel biais. La seule adresse mail disponible étant liée à la facturation. Ce qui n’a pas plu à l’entreprise numéro 1 en création d’images à l’aide de l’IA. Perdre le fil de la réalité, voilà bien ce qui caractérise l’époque. C’est ce que je me dis en lisant les différents articles à la queue leu leu durant une bonne heure ce matin. Ce qui me fait réfléchir sur ce malaise éprouvé systématiquement à chaque bulletin d’info désormais. j’ai comme un doute, un doute léger qui flotte sans cesse sur la véracité de tous ces récits « officiels ». Ce doute est aussi une forme de résistance, la manifestation même de toute résistance. Et l’origine de cette résistance vient du fait que je sens de manière concrète que c’est un récit plaqué sur la réalité et qui n’est pas mon propre récit. Je crois que j’éprouve cela depuis le tout début, enfant déjà c’était ainsi. D’où cette trouille perpétuelle d’être tombé dans un bouquin de Swift. Quelques images scannées ce matin, évoquant des reflets dans la rue.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
9 mai 2024
l’urgence crée un stimulus. Et si je n’avais plus que dix minutes avant d’être avalé par la journée ? j’écrirais certainement cette hypothèse. Puis tout de même content de l’avoir noté, je me laisserai avaler joyeusement.|couper{180}
Carnets | Mai 2024
8 mai 2024
Le manque de clarté de certains textes ne signifie pas une absence totale de lumière. Ils sont simplement peu éclairés. Encore dans une pénombre de l’esprit. Bien qu’au moment de les écrire je dispose d’une sorte de limpidité, elle se trouble aussitôt à la relecture. Il y aurait donc de ces esprits malicieux dans les profondeurs de l’écriture, korrigans, lutins, entités de toute sorte s’ennuyant à un tel point dans leur monde qu’ils viennent déranger le notre déjà pas mal dérangé. Le mien. Et dans ce paragraphe juste au-dessus, on dirait bien que non, là non plus. C’est parce que je me suis levé tard, qu’il ne me reste que très peu de temps pour effectuer mes ablutions littéraires matinales. Ensuite la journée de travail m’avalera tout entier pour ne recracher qu’un petit paquet d’os vers le soir. Je numéroterai mes abattis. Tâche éreintante. Encore ce ton de littérateur à la gomme. Mieux vaut tenir la distance, revenir à ces photographies noir et blanc, un bon exercice d’écrire ce qui vient en les regardant à nouveau. Dans une pénombre aussi. Comme je n’avais pas peur alors, j’étais inconscient. Je voyais quelque chose qui attirait l’œil aussitôt je braquai le Leica et déclenchai. Pas d’histoire de belle image, il fallait juste capturer quelque chose d’urgence. C’était souvent raté quand, ensuite,je regardais les planches contact. Encore que raté n’est pas le terme juste, c’est plutôt l’expression » déjà-vu ». Cette horreur provoquée par le déjà-vu. D’ailleurs dans un autre registre le déjà-vu en général, savoir que l’on va écrire cette phrase, qu’on l’a déjà écrite, sans doute mille fois au cours de mille vies, une horreur aussi. Ou encore tu parles et soudain tu sais que ce que tu dis tu l’as déjà dit à cette même personne comme dans une autre vie ; Ce n’était pas cette personne et ça l’était et ce n’était pas toi non plus mais c’était toi. toute ma séance de ce matin avec cette seule image que j’ai été obligé de retoucher tant le négatif était abîmé.|couper{180}